Mickey BAKER (USA)

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« Mickey » (Mc Houston) BAKER, est né le 15 octobre 1925 à Louisville (Kentucky). Mickey, qui n’a pas connu son père et qui fut séparé de sa mère au cours de son enfance tumultueuse, s’improvise disc-jockey, chargé du jukebox, dans la taverne de son oncle. En ce temps-là, le « rye-whiskey » (de contrebande) distillé par les bûcherons du Kentucky coulait à flots dans les dancings où l’on se pressait au son de « Jelly Roll Baker », « Oh Red! »,etc…

Après avoir séjourné dans un centre de redressement à la suite de sa participation à un vol de vêtements, effectué par des gamins de son âge, Mickey exerce différents petits boulots comme livreur de charbon… et se rend à Saint Louis, puis se joignant à un carnaval itinérant, il monte à Chicago « pour voir les gangsters », et arrive enfin à New York en 1942.

Il connait là une période très difficile, vivant à-demi clochard, mais s’insinue fréquemment dans les coulisses du célèbre Apollo Theater, où se produisent quantité d’ artistes noirs tels que Lil’Green, Hot Lips Page, Jimmy Rushing, Viola Wells… et qui est un lieu de rencontres permanentes, cité du Show-Business Afro-Américain dans la ville, où les artistes séjournent sur place, se retrouvent dans les bars internes, salles de répétitions, de jeux…Il y a même des cabines téléphoniques !.. et terrain de basket-ball improvisé dans la cour voisine. Il y a plusieurs spectacles par jour et Mickey est très souvent là, s’insérant dans cette « grande famille » de l’Apollo.

En 1944, son admiration pour le trompettiste Dud Bascomb devient si grande qu’il décide de tenter sa chance dans cette voie, mais l’instrument s’avérant trop onéreux pour lui, il se rabat sur une guitare Harmony, d’occasion, acquise pour 14 $, »ce qui était même encore trop cher, avouera-t’il, compte tenu de la vilaine entaille qui fendait la caisse, en altérant sérieusement la sonorité », mais qui va le motiver à prendre des leçons auprès du célèbre Rector Bailey. Ceci durant quelques années.

Puis Mickey se sent prêt pour jouer le Be-Bop alors en vogue, et trouve un engagement au sein des « Incomparables » dirigés par le pianiste Jimmy Neely, en 1947. Les guitaristes Oscar Moore, Floyd Smith, Alvino Ray, qu’il écoute assidûment l’influencent beaucoup ; le frère d’Oscar: Johnny Moore, également. Bien entendu: Charlie Christian, disparu déjà depuis six ans, qui pour tous ces guitaristes représente le grand innovateur.

C’est en 1950 que Mickey voyageant sur la Côte Ouest est impressionné le succès remporté par Pee Wee Crayton, qui « roule en Cadillac » et est adulé des foules, « avec très peu de notes » (« Blues After Hours »), ce qui lui paraît invraisemblable, à lui qui est déjà expert en chorus de jazz, et étudie le solfège. « Il m’a donné l’idée de faire la même chose: de jouer du Blues, puisque ça marchait si bien ! ». Travaillant dans la journée à Oakland afin de pouvoir payer son voyage de retour, et jouant le week-end en clubs, à Richmond, Mickey est fermement décidé à monter un orchestre de Blues.

Lorsqu’il remets les pieds à Harlem « où T.Bone Walker était roi », il rencontre le pianiste Jack Dupree, ainsi que le guitariste Lonnie Johnson, mais ses copains-musiciens qui étaient comme lui formés dans ce contexte « jazz » le prennent pour un fou. Le Jazz, joué en tenues de soirées, dans les nightclubs, avait acquis une certaine réputation auprès du monde blanc; le Blues au contraire était pratiquement méconnu sur cette Côte Ouest. La communauté noire qui était parvenue à se faire admettre dans le contexte Jazz percevait l’idée de Mickey comme un malencontreux « retour en arrière ». C’est dans un petit combo de Calypso, genre alors à la mode, se produisant sur la 125ème rue, que Mickey trouve du travail. Le chanteur-pianiste Billy Valentine essaie d’imiter Charles Brown, et Mickey joue dans le style de Johnny Moore (le « novelty-swing-blues »). Une séance d’enregistrement est conclue chez Decca.

Mickey, se familiarisant avec les studios trouve l’opportunité d’y amener sa guitare, derrière la chanteuse Varetta Dillard (pour Savoy), auprès d’Hal Paige (pour Atlantic), et même aux côtés de Little Esther Phillips, déjà en déboires de santé, et éloignée de son « parrain » Johnny Otis. Il trouve aussi l’occasion d’enregistrer sous son nom un « Guitar Mambo », instrumental qui rencontrera un petit succès. On entend aussi sa guitare au sein de l’orchestre accompagnant la chanteuse Ann Cole, créatrice de la toute première version du célèbre « Got My Mojo Workin' » (que reprendra Muddy Waters avec succès), ainsi qu’avec Ruth Brown, Earl Bostic et d’autres. Au bout de toutes ces expériences, Mickey est devenu un guitariste de Rythm’n’Blues apprécié.

En 1953, se forme le duo Mickey & Sylvia (Vanderpool) qui va se faire connaître grâce à la vogue naissante du Rock And Roll. Mickey enregistre aussi avec Ray Charles, Amos Milburn, Clyde Mc Phatter, Sticks Mc Ghee… En 1954, le saxophoniste Sam Taylor, Jack Dupree, Larry Dale, Panama Francis réclament son concours pour différentes séances. Mickey joue aussi avec Floyd Dixon, Big Joe Turner, Lavern Baker, Nappy Brown. Guitariste maison du label Groove dont Danny Kessler est producteur, on pourra entendre sa guitare déjà très incisive sur le « Country Boy » de Tiny Kennedy (copie du « Bear Cat » de Rufus Thomas et du « Hound Dog » d’Ella Mae Thornton) et sur le blues: « Midnight Hours » chanté par Larry Dale, échangeant plaisanteries entrecoupées de solos de guitare avec le saxophoniste: Mister Bear (Teddy Mc Rae).

En 1955, Mickey Baker & His Houserockers, sur le label Rainbow, sortent un excellent « Shake Walkin' », instrumental percutant, et « Rock With A Sock », « Shake It Up »,ces trois morceaux représentant bien l’orientation « rock’n’roll » donnée Mickey qui se veut avoir été l’instigateur de la guitare rock’n’roll à New-York. C’est sur ce même label que Sylvia et lui vont sortir de nouveaux titres qui vont les propulser au rang des stars du « Alan Freed Rock’n’Roll Show » qui sévira de 1956 à 58. Tout d’abord avec « Love Is Strange »(1956), hit monumental qui change d’un seul coup les conditions de vie de Mickey et son entourage.

En 1956, il enregistre aussi « Rock With Sammy Price & His Orchestra » et compose avec Bo Diddley avec qui il s’est lié d’amitié, le fameux slow: « Dearest » (Umm Oh Yeah) qui sera repris par Buddy Holly (en déc.58) et de nombreux autres artistes.

Puis c’est maintenant Louis Jordan qui lui demande son concours pour enregistrer une séance de reprise de ses succès, arrangée par Quincy Jones, avec des nouveautés comme « Big Bess »,etc…C’est aussi Mickey, devenu la « guitar-star » du Rock And Roll la plus demandée qui est présente sur de très nombreuses faces Okeh de la fabuleuse Big Maybelle, dont plusieurs chanteuses s’inspireront fortement par la suite (cette toute première version orchestrée du « Whole Lotta Shakin’Goin’On » de roy Hall, et ce blues déchirant : « I Ain’t To Be Played With » où la guitare de Mickey exulte). Les saxophonistes Big John Greer, Buddy Lucas, Red Prysock, et autres « honkers » triomphent au Brooklyn Paramount Theater,avec le concours de Mickey à la guitare. C’est ainsi que celui-ci va aider le jeune King Curtis à démarrer, bien qu’il ne lui en fut guère reconnaissant.

Avec le nouvel instrumental : « Spinnin’Rock Boogie » (avec le Bill Kendricks OrcH. s/MGM ), Mickey « casse encore la barraque ». Il avoue alors admirer le merveilleux solo de Billy Butler, sur le « Honky Tonk » de Bill Doggett. Le jeune rock’n’roller blanc Joe Clay, émule d’Elvis Presley, s’entoure des solos incisifs de Mickey sur ses « Get On The Right Track », « Cracker Jack »… (sur Vik en 56) et l’on se doit de connaître aussi son incursion cette même année sur le « Little Demon » de Screamin’Jay Hawkins ainsi que sur un single de Roy Gaines.

Dans le début des années 50, le nombre d’artistes Rythm’n’Blues et Rock’n’Roll (mais aussi : Doo-Woop, Gospel, Jazz…) qui ont enregistrés avec Mickey Baker dépasse la centaine.

Après la période de gloire de Mickey & Sylvia, Mickey se tourne à nouveau vers le Jazz, en quartet avec le pianiste Herman Foster et la chanteuse Kitty Noble. Sa rencontre avec Ike & Tina Turner aboutit aussi à un single ; T.N.T.Tribble est à la batterie ; Mickey donne la réplique à Tina, comme il faisait avec Sylvia sur ce « It’s Gonna Work Out Fine » (sur Sue, en 1961).

Puis, écoeuré par la mentalité raciste de son pays, cet homme qui a réussi dans la musique, étant devenu propriétaire de plusieurs studios, guitariste reconnu, mais qui rencontre sans cesse des ennuis dèsqu’il se met à voyager, chercher un hôtel, un restaurant,à cause de la couleur de sa peau, et de plus laissé seul à New York par sa petite amie, épouse d’un musicien français, retournée en Europe, décide de tout lâcher et de quitter le sol de ce pays « ou l’argent ne sert à rien puisque qu’il m’est impossible de le dépenser ».

Mickey traverse ainsi l’Atlantique, allant rejoindre sa Monique qui passe ses sports d’hiver en Suisse, pays inconnu de lui. De là, il gagne Paris où son ami le pianiste Memphis Slim, s’est installé depuis plusieurs années.

Durant ce début des années 60, Mickey va tenir un rôle important en tant qu’arrangeur, derrière tous les succès des « Yés-Yés » que l’on entend dans l’émission « Salut Les Copains ». Déjà auteur de plusieurs méthodes de guitare aux USA, c’est à lui que Daniel Filipacchi demande de rédiger « La Méthode de Guitare S.L.C. », qui aura un certain succès auprès des jeunes. Mais Mickey a du mal à se faire accepter dans ce milieu assez suffisant du show-biz hexagonal, ou les méthodes sont encore « très provinciales ». On ne le reconnait pas en tant que « star américaine », et comme bon nombre de musiciens de jazz noirs émigrés en Europe, on ne retient de lui que l’image superficielle et tout-à-fait déplorable du « bon nègre », buveur de whisky, amusant, etc… De plus, la concurrence est serrée pour trouver un emploi régulier dans les clubs de jazz. Kenny Clarke lui conseille d’écrire de la musique pour le cinéma, et Mickey, plus tard installé dans un petit hôtel-restaurant tenu par des Auvergnats, à Vincennes, s’y consacrera intensément, de même qu’à son idée orchestrale de « Blues Suite ».

Devant tout apprendre du métier (chant, accords de guitare, tenue en scène…) à ces jeunes recrues de la musique « Yé-Yé », véhiculés d’un jour à l’autre dans l’industrie du disque, souvent par copinages, Mickey perd patience devant ce qu’il considère comme une promotion d’amateurisme. Il fera faire néanmoins ainsi leurs premiers pas à : Ronnie Bird, Françoise Hardy, Billy Bridge, Sylvie Vartan, Chantal Goya…. Mais Mickey n’aime pas se remémorer cette période où il eut l’impression d’avoir à faire « à des gens dépourvus de talent, d’ambition », complètement « fabriqués » par l’industrie phonographique française, « alors qu’aux USA, il y avait tellement de bons musiciens, de chanteurs et de chanteuses qui en voulaient, à qui l’on n’avait pas besoin d’expliquer cent fois ce qu’il fallait faire… ».

Et cette conscience professionnelle lui créa même du tort auprès des bookmakers français, jaloux de ses prétentions et de son charisme, et qui finirent par le considérer comme une espèce de « marginal ». Certes, ien Europe, parfois en Angleterre, en Allemagne…: Memphis Slim (su Polydor), Champion Jack Dupree (en 1967 à Londres, sur Decca, ou encore avec la merveilleuse séance de « The Tricks » où les deux compères ne tarissent pas d’échanger plaisanteries et souvenirs tout en jamant (sur Vogue, en 1968).

Avec son ami Memphis Slim (Peter Chatman de son vrai nom), Mickey se produit au Festival de Montreux 1973 et la même année, profitant d’une tournée des Aces, maîtres incontestés de la rythmique « Chicago Blues » (les frères Myers avec le batteur Fred Below)+ Jimmy Rogers, il enregistre à Toulouse un excellent LP de Blues, sur Black & Blue (33 507) auquel seront rajoutés des faces gravées l’année suivante à Paris avec Tiny Grimes. Mais qui parmi ses fans connait ses tentatives régulièrement répétées de s’acharner à produire « le Hit », au fil des modes changeantes, à l’aide de différents orchestres de circonstances, aussi bien dans le créneau: musique cosmique, hippy, que funky, avec le Alex Saunders Band, country-blues acoustique, avec Stefan Grossman, ou encore: « hot jazz », très inspiré de Charlie Christian, avec le Henry Chaix Trio ?…

Mickey n’a de cesse d’écrire, d’inventer thèmes et morceaux originaux, d’enregistrer (labels: Blue Star, Roots, Artist, Disques Office, Kickin’ Mule, Bellaphon, Blue Silver…). Il a donné un Hit momentané à Colette Magny en lui écrivant « Melocoton », mais celle-ci non plus ne lui en est guère reconnaissante, refusant l’étiquette de chanteuse de Blues, afin de se conscrer à son « répertoire communiste ». Quant aux rééditions des anciens disques de Mickey, qui apparaissent sur le marché, impossible d’en récupérer les droits. Lorsqu’il retourne aux Etats-Unis, une belle voiture, une chambre d’hôtel luxueuse, sont mises à sa disposition, mais rien à faire pour obtenir quoi que ce soit de ces comptables très mal à l’aise. On lui doit pourtant une fortune colossale en droits d’auteur.

Enfin dans les années 80, marquées par l’échec retentissant de la séance « Blues Suite » réalisée en Suisse avec un grand orchester symphonique, et aussi: avec des moyens lamentables de sonorisation qui le dégoûteront à tout jamais des productions européennes, Mickey rencontre Mary, chanteuse de jazz, dont la voix juvénile et sexy n’est pas sans rappeler celles de Little Esther Phillips, Billie Holiday… C’est le coup de foudre et un nouveau mariage. (Mickey a de grands enfants des précédents, en Amérique). Installé à Toulouse, il « perd (to loose) son blues »!. Le couple enregistre plusieurs disques et finit par se produire en petites tournées de nightclubs, devenant à la longue très fatigantes. On reverra Mickey « Guitar » Baker sur la scène du Cirque d’ Hiver à Paris, à l’occasion de l’anniversaire du magazine « Soul Bag », dans un programme mémorable qui incluait Junior Wells, Carl Wheathersby, Billy Branch et de nombreux groupes de blues français. C’est par amitié avec l’un d’eux: les Blues Fellows, que Mickey enregistre en leur compagnie, en 1993 un ultime : « Farewell To The Blues » (qui espérons-le ne sera pas exhumé qu’après sa mort!), reprenant avec fougue son répertoire 50’s, après plusieurs semaines d’exercices afin de se délier les doigts, et allant chercher sa vieille Gibson électrique de sous son lit. On le verra également à Montauban en 1998, à la guitare accoustique, en première partie de Joe Louis Walker. Quelques années après, il est invité à Los Angeles pour recevoir le « Pionner Awards » de la musique Afro-Américaine, en compagnie de John Lee Hooker, Isaac Hayes et d’autres, et se produira à cette occasion entouré de l’orchestre de Big Maceo.

Mickey Baker qui eut sa période de gloire aux USA dans la seconde moitié des années 50, n’est pas suffisamment connu pour ses production ultérieures. Auteur de nombreuses méthodes de guitare (il en sortait encore une nouvelle chez Mel-Bay il y a quelques années), il a également rédigé en compagnie de Jesper Ismael un livre autobiographique passionnant : « Alone – ou: Love Is Strange », illustré de photos rares et qui comporte une discographie plus complète et détaillée que celle qui figure dans le numéro 90 de la revue « Soul Bag » (épuisé) qui lui était consacré. Récemment hospitalisé à plusieurs reprises, Mickey « Guitar » Baker se repose dans le Sud de la France, partageant ses loisirs entre le jeu d’échecs et l’astronomie.

Tiré de « Jump-Blues Guitar Killers » de Phil Dubois (1er décembre 2003).

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