Marcel BIANCHI (France)

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Marcel BIANCHI, fils unique d’une famille d’origine corse, voit le jour à Marseille en 1911. A l’âge de 7 ans, on lui offre une mandoline sur laquelle il commence à jouer, d’oreille, les airs qu’il a dans la tête. Il s’éxerce ensuite au violon. C’est à l’âge de 12 ans qu’un oncle de Corse lui met entre les mains sa première guitare. Il apprend seul, sans le concours d’aucune méthode, ignorant le solfège, et passionné par l’instrument, progresse si rapidement qu’il se verra engagé quelques cinq ans plus tard dans les orchestres qui ont l’habitude de jouer dans les bars du port de Marseille, dont: « La Mascotte ».

Jouant régulièrement au sein de ces petits combos, il rencontre un jour parmi les spectateurs, un marin qui lui montre la technique du « bottleneck ». Très impressionné, aussitôt rentré chez lui, il réhausse le sillet de sa guitare en glissant un morceau de bois sous les cordes et se fabrique un bottleneck à l’aide d’un goulot de bouteille. La Slide-guitar des Noirs américains n’était guère connue en Europe à cette époque, début des années 30, mais la guitare hawaïenne était en vogue, surtout à Marseille oú l’on révait de rivages et de paradis lointains. Ignorant tout de la technique en open-tuning, Marcel commence par jouer sur deux cordes. Il arrive rapidement à se familiariser avec les sons, et devient une « attraction » sur le port de Marseille. Comme nous le verrons par la suite, devenu spécialiste du slide, il n’oubiera jamais ce style et enregistrera de nombreux morceaux sur des « lap-steel » ou guitare hawaïennes électriques.

Au milieu de ces années 30, écoutant la radio, il entend Django Rheinhardt et tombe instantanément amoureux de ce style de jeu de guitare, et fonce chez les disquaires. Il s’enferme chez lui de nombreuses journées pour essayer de reproduire ce type de chorus, les décryptant d’oreille en repassant ces 78 tours un nombre considérable de fois. Mais le service militaire l’appelle en 1931. De retour à Marseille, le voilà à nouveau dans les bars, jouant quelques solos jazz-manouche, suffisamment bons pour impressionner clients et passants. On le presse de monter à Paris où il aura beaucoup plus de succès.

Marcel a 26 ans, et se rend dans la capitale avec sa guitare Carbonnel sous le bras, fabriquée par le luthier marseillais du même nom. Il se rend chez Charles Delaunay qui l’incite à donner son premier concert rue Chaptal, devant tous les amateurs de jazz qui ont pris l’habitude de s’y réunir. Django est là. Il s’exclame: « Mais, il joue comme nous ! ». Aussitôt le voilà engagé par Louis Volla, le bassiste-leader du Quintette house-band. Django s’attarde sur sa guitare Carbonnel qu’il trouve excellente. Mais le groupe, sponsorisé par la maison Selmer impose à Marcel de jouer sur des guitares du même nom. Il en possèdera trois dont il se débarassera par la suite, sans remords. Coup de théâtre: sa belle et sonnante Carbonnel qui faisait des envieux lui est un jour volée !…Marcel relégué à un rôle d’accompagnateur, souvent rythmique en a marre du Quintette qu’il quitte en 1938.

Il trouve des engagements à la radio, en duo avec un pianiste et joue le soir dans les cabarets. Il est aussi amené à diriger des formations, promu chef d’orchestre. Les cachets s’accumulent et bientôt, Marcel s’offre sa première voiture. Il cumule les soirées parisiennes; sa guitare est appréciée. On le voit au « Boeuf sur le Toit », au « Joker », à « La Villa d’Este », au « Dom Juan »… Le 30 juin 1938, il participe à la « Grande Nuit du Jazz » organisée par le Hot Club de France. Il y joue en duo avec le saxophoniste Noël Chiboust. Le reste du programme est composé de : Fletcher Allen, Alix Combelle, Gus Viseur, Michel Warlop, Django Rheinhardt et Stéphane Grapelli.

Hélas, la guerre approche, et en 1939, Marcel est mobilisé. Fait prisonnier en juin 40, il se retrouve dans un camp allemand, d’où il s’évade rapidement, rejoignant Marseille alors en zone libre. Il retrouve alors les concerts dans quelques cabarets de Nice, en 1941. Mais la conjoncture des événements l’incite à gagner la Suisse. A l’aide d’un ami musicien, il réussit à passer la frontière en pleine nuit et décroche un permis de travail. Il jouera successivement dans les orchestres de Jerry Thomas, Fred Bohler, et surtout découvrira, alors que cela n’existe pas encore en France: la GUITARE ELECTRIQUE. Tournant capital dans sa carrière!.

En 1944, flânant dans Bâle, il aperçoit à la vitrine d’ un magasin de musique une guitare à caisse avec micro incorporé, copie de la Gibson de ce musicien américain qu’il a déjà bien sûr beaucoup écouté: Charlie Christian. Il achète aussi une lap-steel noire fabriquée à Zurich, elle aussi: copie des Gibson et Rickenbaker américaines. Les ramenant en France à la fin de la guerre, il est le premier guitariste français à jouer sur des guitares électriques. Bien évidemment, ses instruments font des envieux. Marcel, gagné par ces nouveaux sons tranforme son jeu et se met à écouter tout ce qui provient des USA en matière de disques où se font entendre des guitares électriques. Django ne fera ses premiers essais d’amplification que bien plus tard, fin 46, et adoptera le premier micro Stimer (micros destinés aux guitares acoustiques)en 48. Embauché au « Doyen » à Paris, Marcel Bianchi anime les soirées dansantes (photo ci-dessus) en compagnie de Tony Ovio (vcl./gtr), Jo Reasco (b), Marcel Pomes (cl), Tony Cossu (d) et Pierre Chaub (pno). On dit alors de lui qu’il est le chef d’orchestre « qui redoute le plus les coupures de courant ! ». Et pour cause!…

Dès la fin des années 40, Marcel BIANCHI enregistre sur disques, d’abord chez Barclay puis chez Riviera, Pathé Marconi, et plus tard chez Vogue où il signera un contrat de longue durée. Autour des fêtes de fin d’année et durant les saisons estivales, il effectue des tournées à travers la France et à l’étranger. Marouani l’engage pour jouer six mois d’affilée à l' »Heliopolis Palace Hôtel » du Caire, et en soirées privées pour le roi Farouk. Très apprécié en Egypte, il y retournera plusieurs fois. Il acquiert une certaine réputation sur la Côte d’Azur, au « Spor-ting Club » de Monte Carlo, au « Maxim’s » de Nice, et s’insère en guest dans les grandes formations de l’époque telle que celles d’Aimé Barelli, Bert Ambrose, etc… S’étant fait volé sa guitare hawaïenne électrique, il en fait construire une nouvelle, auprès du même fabricant suisse, cette fois avec deux manches accordés différemment. Maître incontesté du style slide, il adoptera la « Stevens bar » bien connue des dobroistes, qu’ il jouera aux doigts, sans les onglets qui vont avec.

Dès le début des années 50, il est sollicité pour accompagner les chanteurs de variétés à la mode: Bourvil, Tino Rossi, Luis Mariano… et en compagnie de Michel Legrand, jeune pianiste, sera choisi pour accompagner Bing Crosby pour sa première apparition en France. Il obtient le grand prix de l’Académie Charles Cros pour son morceau : « Train Boogie », en 1952, et va se trouver alors une inspiration de prédilection pour les « boogies ». Il commence à jouer sur les guitares RV, fabriquées par Bramer et distribuées par « Major Conn » à Pigalle, dont il est la vedette promotionnelle. Il entre dans l’orchestre de Jacques Hélian où il rencontre la chanteuse Denise Varène qui deviendra sa partenaire attitrée, après 1955 où ils quittent l’orchestre. Nombreuses tournées ensemble sous le parrainage du label Vogue.

En 1956, Marcel Bianchi tient la guitare solo dans l’orchestre de Franck Pourcel et grave avec lui le célèbre « Johnny Guitare ». De ses guitar-boogies instrumentaux, gravés sous son nom, ou sous le nom de: « Marcel BIANCHI & ses Cinq Boogies », se distinguent particulièrement: « Cocotte Boogie », « Beep Boogie », « Train’s Boogie », « Surprise Partie Boogie », « Big Bang Blues », et « Hurricane Boogie », « Flash Boogie », « Auroch Boogie » enregistrés à la guitare hawaïenne. On relèvera aussi dans ce même style les instrumentaux: « Trudie », « Hé Youla », « Hoopa Hula ».

La discographie de Marcel Bianchi ne mentionne souvent que sa participation rythmique à des enregistrements de Django Rheinhardt !… Ces « Boogies » qui nous intéressent particulièrement s’étalent de 1951 à 1953, soit en Quartette avec le pianiste Emile Stern, pour Vogue et Festival (Paris, nov./dec.1951) et avec les Cinq Boogies (Léo Chaulliac -pno, Jean-Pierre Sasson -r.gtr, Pierre Michelot -b, Marcel Blanche -d, et Jacques Lubin -timb.) pour Vogue en 1953.
Anecdote: le jeune batteur Claude François, né en Egypte, dont la famille a gagné la France après la fin de la guerre, officiait au « Sporting Club » de Monte Carlo, en 59, et Marcel le prendra pour quelque temps dans son orchestre, notamment à Juan-les-Pins, avant qu’ il ne devienne le chanteur « yé-yé » connu.

Durant les années 60, Marcel et Denise Varène voyagent énormément: Hollande, Allemagne, Japon, Etats-Unis. En janvier 1962, Marcel ramène de New York trois guitares élecrtriques: une Gibson, une Epiphone et une Guild demi-caisse. De nombreux enregistrements seront faits avec l’Epiphone qu’il apprécie particulièremet. Marcel avait probablement entendu le « Guitar Galore » de George Barnes. Ce disque se propose comme une révolution technique d’enregistrement stéréo (cette étiquette, sous différent noms accrocheurs : Dyna-Sound, Vivid-Sound, etc… se rencontre beaucoup sur les disques de guitare électrique, au début de la stéréophonie), mais Marcel est néanmoins réputé pour avoir été le premier, en France, à utiliser le re-recording en enregistrant plusieurs guitares sur un même morceau, et en pratiquant une légère accélération de la vitesse (comme on en trouve sur ce LP de George Barnes, et plus tard, en Rockabilly, chez le suédois multi-instrumentiste Hank C.Burnette).

Marcel Bianchi et son orchestre n’en étaient d’ailleurs pas à leurs premier grand voyage puisque le batteur Marcel Sabiani raconte qu’il les avait accompagné durant huit mois en 54 pour un tour du monde sur un paquebot américain à partir de Los Angeles, passant par Hawaï et Tahiti, ainsi qu’en Extrême Orient. C’est d’ailleurs ce qui se reproduit à partir de 65, où l’orchestre de Marcel Bianchi, embauché sur le « Rotterdam », paquebot hollandais de croisières, fait à nouveau plusieurs fois le tour du monde. Traités comme des voyageurs de 1ère classe, leur cachet ne les contraint qu’à jouer deux heures tous les soirs. Vers 1968-69, on retrouve la guitare de Marcel dans l’orchestre du trompettiste Aimé Barelli.

Au début des années 70, un emploi fixe d’animation des saisons d’ été comme d’hiver, est proposé à Marcel Bianchi & son orchestre, y compris sa compagne chanteuse : Denise Varène, au « Carlton » de Cannes, ce qui se prolongera jusqu’en 1988. Après des milliers de concerts donnés à travers le monde, à la retraite, Marcel et Denise se reposent à Juan-les-Pins, et c’est en 1998 que cet immense guitariste succombe hélas, à un arrêt cardiaque.

Phil DUBOIS, 18 Novembre 2003

Discographie (60)

  1. Marcel BIANCHI & les Cinq Boogies (45t Ext.Play Vogue EPL. 7019)
    Train’s Boogie / Surprise Party Boogie / Cocotte Boogie / TBeep Boogie.
    Exemples d’instrumentaux à facture jump-blues (surtout: Cocotte Boogie). Prépondérant!
  2. Marcel BIANCHI & les Cinq Boogies (45t single Vogue V.45-359 (N.45 V.6057))
    Flash Boogie.
  3. Marcel BIANCHI, sa guitare hawaïenne et ses rythmes (45t single Vogue V.45-15 (N.45 V.426))
    Hurricane Boogie.
  4. Marcel BIANCHI & ses Guitares (Super 45t La Voix de Son Maître 7 EGF I58)
    Fantasia Boogie / Boogie en Riff’s.
    Exemples d’instrumentaux en re-recording.
  5. Virtuosité Vol.13 (Super 45t Vogue EPL 7550)
    Trudie / Hoopa Hula / Hé Youla / Tu m’étais destinée.
    Exemples d’instrumentaux à la guitare hawaïenne.
  6. Marcel BIANCHI, sa guitare et son orchestre (Super 45t Vogue EPL 7424)
    Revoir Tahiti / La surprise est partie / Rentre à l’atoll / …
    Guitare hawaïenne.

 

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