Ladi GEISLER (Allemagne/RFA)

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Le Rock a ses héros mythiques, qui ont tenu le haut de l’affiche, mais c’est aussi des musiciens peu connus ou méconnus qui ont mis leur savoir faire et leur talent au service de cette musique que nous aimons : le Rock and Roll.

En France, nous avons eu Léo Petit, Léo Berdugo, Silvano Santoro, Jean-Pierre Martin, Jean-Claude Oliver, …

En Angleterre Eric Ford, Ted Taylor, Bert Weedon, aux USA Scotty Moore, James Burton, … En Allemagne il y a Ricky King, et Ladi Geissler.

Né en 1927 à Prague, de parents d’origine Austro-Hongroise , devenus tchèques en 1918 lors de la dissolution de l’Autriche-Hongrie, qui donne naissance à la Tchécoslovaquie et aux autres états d’Europe Centrale : Pologne, Hongrie, Roumanie et Yougoslavie.

En 1938, la Tchécoslovaquie est envahie par les Nazis, Ladi Geissler est assimilé Allemand par les nouveaux maîtres de la Tchécoslovaquie. Il doit aussitôt quitter son école et aller à l’école allemande. En 1943 Ladi a 15 ans et toute la classe, professeur inclus, est enrolée dans l’arm‚e Allemande. Ladi quitte Prague, il n’y reviendra plus. Après un an de formation à la défense anti-aérienne, tout en suivant les cours le matin, il est affecté à la Luftwaffe (armée de l’air).

Là il est conduit aux quatres coins de l’Allemagne et au Danemark occupé, pour recevoir une formation de pilote de chasse sur les tous premiers avions à réaction. En 1944 il est fait prisonnier dans la zone d’occupation anglaise dans le Nord de l’Allemagne au Schleswig Holstein. Fin 1945 Ladi est libéré, il a 17 ans. Les autorités d’occupation anglaises lui laissent le choix, retourner en Tchécoslovaquie ou rester en Allemagne. Ladi hésite mais apprenant qu’il va devoir faire 3 ans de service militaire s’il rentre à Prague, il décide de rester en Allemagne à Hambourg, il a assez connu l’armée comme ça !

Jean BACHELERIE

Interview

Vos parents aimaient-ils la musique ? 

Oui ma famille avait une bonne culture musicale, dés l’âge de 5 ans, mes parents m’ont offert un violon. Ils m’ont fait suivre des cours et je travaillais le violon, même si je dois le dire cela me passionnait pas.

A 8 ans grâce au violon, j’ai joué dans un film de folklore tchèque, j’étais très fier de moi ! Comme j’étais assez doué en musique, j’ai aussi chanté à la radio dans une chorale d’enfants. Au lycée j’essayais tous les instruments pour développer ma culture musicale. Après les avopir tous essayé, du piano à la trompette en passant par la guitare, je me décidais à apprendre la trompette.

Je suis allé au conservatoire où un professeur m’a enseigné la trompette et la musique. Je suis alors entré dans l’orchestre du conservatoire. Chez moi je jouais aussi de l’accordéon et j’étais fasciné par les touches du côté gauche. Je me suis mis à apprendre le système d’accompagnement par choeur, et j’ai compris le cercle des quintes, et la construction des accords. puis j’ai acquis les fonctions harmoniques et les changements de tonalité.

 Comment êtes-vous venu à la guitare ? 

Dans le camp de prisonnier au Danemark, il y avait un marin qui avait une guitare, mais ne savait pas en jouer. La passion de la musique m’a repris, je lui ai échangé la guitare contre une pleine panière à pain de cigarettes ! J’ai alors transféré sur la guitare mes connaissances musicales, harmonies et enchaînements acquis avec l’accordéon. Ma culture musicale s’est révélée fort utile durant cette période, où il n’y avait ni professeur de musique, ni partitions à apprendre.

En 1945 lorsque j’entendis pour la première le son d’une guitare électrique, c’était Oscar Moore (du trio Swingster , composé d’un pianiste Nat King Cole, un guitariste O.Moore et un bassiste Wesley Prince, ce trio fondé en 1939, a lancé le genre avec selon les cas piano basse batterie, ou guitare, basse et piano, qui vont faire les belles heures des boîtes de jazz) qui jouait à la radio. Je me suis mis à chercher à comprendre le principe electromagnétique pour construire un micro et un amplificateur. Je me suis construit un micro, qui a d’ailleurs été breveté. Depuis ce moment là, je joue de la guitare électrique !

 Vos influences musicales ? 

Les premiers guitaristes de jazz comme Oscar Moore, Les Paul, Charlie Christian et plus tard B. Kessel, Jim Hall, Joe Pass (1929) guitariste réputé pour sa vélocité, jouant de la guitare comme Oscar Peterson de la basse, et Django Reinhardt. Leur influence est parfaitement identifiable encore aujourd’hui dans mon jeu. Cette influence du jazz et l’intérêt pour les harmonies m’ont parfois rendu la vie très dure lors de certains enregistrements de Rock’n Roll ! En particulier lorsque je devais jouer un morceau entier en n’utilisant que 3 accords !

 Votre carrière musicale en Allemagne commence dans ce camp de prisonniers ? 

En effet avec ma guitare, dans le camp j’ai fait connaissance d’Horst Wende, pianiste, nous avons formé le Horst Wende trio puis Quartet. Depuis 1946 nous avons beaucoup travaillé ensemble. Nous avons fait nos débuts pour les soldats Anglais qui gardaient le camp. Nous avons ainsi pu améliorer l’ordinaire , en jouant les morceaux à la mode que les soldats aimaient écouter, ils nous donnaient des cigarettes qui valaient une fortune à l’époque (certains jours nous en recevions jusqu’à 100 !).

Puis notre succés a dépassé l’enceinte du camp. L’armée britannique nous a proposé de jouer pour la radio britannique en Allemagne BFN. Puis nous sommes passés à la NWDR, la radio de l’Allemagne du nord-ouest.

La nuit nous jouions dans les bars, de 22h à 4 heures du matin, nous jouions au Tarantella, la journée de 9h au soir nous allions d’un studio d’enregistrements à l’autre.

 Vous souvenez-vous de la première séance ? 

Oui, mes mains tremblaient et la partition a glissé entre mes doigts, avant de se poser par terre ! Nous accompagnions alors toutes les vedettes allemandes de l’après guerre.

En 1952 j’ai joué 6 mois avec Fud Candrix. Il avait enregistré en 1942 des disques formidables avec son grand orchestre. Son guitariste soliste d’alors n’était autre que Django Reinhardt !

Fud m’a tellemnt parlé de Django, qu’un jour je décidais de me rendre à Paris pour faire sa connaissance. Paris était une ville qui faisait rêver les artistes, une capitale des arts. Fin mai 1953, je pris la route de Paris. Muni d’une lettre d’introduction de Fud Candrix, j’allais voir Charles Delaunay, un des membres influents du Hot Club de France et divulgateurs du Jazz en Europe. Il m’apprit que Django venait de mourir subitement d’une congestion cérébrale. J’étais tellement bouleversé, que je repris le chemin de Hambourg, où j’avais une offre qui m’attendait. Aussi à mon grand regret je n’ai en fait jamais joué à Paris.

 Votre carrière se poursuit néanmoins ? 

Oui en 1955 je décroche une place de guitariste, place très convoitée, dans l’orchestre de la Radio. J’ai ainsi eu la chance de jouer avec d’innombrables artistes internationaux et allemands, comme Bob Cooper, Bud Shank, Toots Thielmans, Sven Asmusen, Helmut Zacharias, James Last, Hilde Knef, Freddy Quinn, que j’avais présenté au Tarantella, alors qu’il était jeune débutant, Lawrence Winters, les Everly Brothers, … et tant d’autres.

C’est à cette époque que j’ai fait mes débuts avec Bert Kaempfert, avec qui je me suis lié d’amitié. A l’époque j’ai enregistré prés de 1500 titres par an ! Les maisons de disques nous faisaient reprendre les morceaux venus d’Outre-Atlantique. C’est ainsi que j’ai enregistré Red River Rock et Wheels, gros tubes Américains, qui ont bien marché en Allemagne. Malheureusement, Ladi n’avait pas de contrat d’enregistrement, il était payé comme musicien à la séance. Il n’a donc tiré aucun bénéfice du succés de ses versions de Red River Rock ou encore Wheels.

En 1961, je suis parti en tournée avec Esther et Abi Ofarim. Ce fut un succés énorme, nous avons joué à guichets fermés tous les soirs. Malheureusement l’organisateur de la tournée est parti avec la caisse sans laisser d’adresses ! J’étais fauché comme jamais !

Alors j’ai repris le chemin des studios, et un jour Bert Kaempfert m’appelle et me demande de passer, avec mon matériel, à la Friedrich Ebert Halle où il enregistrait avec un nouveau groupe Tony Sheridan & the Beatles. Le Beatles n’avait pas le matériel qu’il fallait pour faire un bon enregistrement. Ils ont enregistré my Bonnie , the Saints, Why, et cry for a shadow. Depuis je restais en relation amicale avec Tony Sheridan.

En 1967 avec Bert Kaempfert j’ai découvert l’Amérique, où nous sommes passés au Jackie Gleason TV show, le même soir que Louis Armstrong.

Pendant 30 ans j’ai joué et enregistré sans interruption avec le grand Orchestre de Bert Kaempfert, de la guitare, et surtout de la basse, on m’appelait Mr Knackbass, avec ce son typique de Bert Kaempfert. Lors de notre tournée en Angleterre, le concert de clôture s’est déroulé au Royal Albert Hall, la salle la plus prestigieuse de Londres, aussitôt le concert fini j’ai plié bagage pour Hambourg. Deux jours plus tard j’apprenais le décés de mon ami Bert. Ce fut l’un des moments les plus difficiles de ma vie.

 Avez-vous joué avec des chanteurs ou musiciens français ? 

Oui avec Jean-Claude Pascal, qui a connu beaucoup de succès en Allemagne. Nous avons fait une tournée en Autriche, Suisse et en Allemagne. C’était toujours un grand plaisir de l’accompagner, il avait de la classe sur scène aussi bien que dans la vie, un vrai gentleman. Notre pianiste était Léo Chauliac, un type très sympa, qui m’a tant parlé de Django.

Django est pour moi un génie de la guitare. Sa technique extraordinaire jamais égalée et la sonorité de son jeu, sont tout simplement des monuments pour l’éternité. Il a eu la chance, qu’aucun professeur ne lui enseigne la guitare académique et les tabous habituels.
Il avait la musique et sa technique dans sa tête, et sa tête marchait en prise directe avec ses doigts agiles.
Peut-être que son analphabétisme lui a permis de rester aussi vrai, aussi génial.
Mes morceaux préférés sont Improvisation et Roseroom et les morceaux de la période 37/39.

Mon ami Joe Pass était aussi un grand admirateur de Django. J’aime beaucoup son style ainsi que George Benson, Earl Klugh et Lee Ritenour que je mets sur le même plan.
Lorsque je joue dans des clubs de jazz je joue toujours des morceaux de Django en particulier : Nuages, Minor Swing (titre de mon dernier album) et Tears, ainsi que des morceaux du répertoire Hot-Club.

 Faisons un petit retour en arrière, en 1954 vous avez eu un grand succès ? 

Oui un succés européen avec Amorada et Baïon Cacula. Quelques années plus tard ma version de Wheels s’est vendu à prés d’un million d’exemplaires, qui m’ont rapporté le prix de la séance : DEM 150 ! (FRF 500). La malchance de l’artiste !

J’ai beaucoup enregsitré de disques sous différents pseudonymes. Plus de 40 simples, dont certains se trouvent sur l’album Mr Guitar paru chez Bear Family (voir G&D 64 décembre 97). C’était les débuts du R n R , j’étais enthousiasmé que la guitare ait pris une telle ampleur et soit devenue si populaire.

 Quelle est votre guitare préférée ? 

Depuis 1954, je joue sur une Gibson. J’avais toujours le dernier modèle. Maintenant j’ai une Gibson L4 dernière version. J’aime toujours joué avec une guitare récente, je ne peux pas m’imaginer jouant avec une vieille guitare. Je ne suis pas collectionneur et pas attaché au passé. La technique de fabrication a tellement progressé, que je trouve qu’il est préférable d’acheter ce qui se fait de mieux. Les guitares que l’on trouve aujourd’hui partout sont relativement bon marché et le choix est immense, comparé à celles dont nous disposions il y a 50 ans !

Lorsque je me revois jouer il y a 50 ans, avec ces guitares aux manches à la surface inégale, et des touches pas toujours bien dessinnées, j’envie les jeunes d’aujourd’hui. Même les micros sont beaucoup plus performants. Chacun peut trouver le son qui convient à son jeu. Ne parlons pas des amplis, qui sont aujourd’hui plus puissants, plus légers, et incomparablement plus performants. De plus ils sont d’une solidité à toute épreuve.

L’enseignement de la guitare est aussi devenu bien meilleur, on trouve aujourd’hui toute la documentation imaginable, sans parler des studios d’enregistrement et de leurs équipements. On doit seulement savoir ce que l’on veut ce qui n’est pas le plus simple, car la guitare est dans un sens victime d’innombrables modèles et genres. La guitare de concert, de flamenco, fingerpicking, Jazz, Rock… si bien que l’on pourrait passer toute sa vie à étudier !

 Que pensez-vous de la jeune génération de guitaristes ? 

Ils sont excellents, grâce à de meilleurs instruments, et une meilleure formation, ils sont plus virtuoses, plus véloces et jouent plus harmonieusement que nous pouvions le faire autrefois.

Certains privilégient la distorsion, car ainsi les petits erreurs sont masquées, mais l’excès de distorsion fait disparaître la fluidité des sons et la formation du son, qui disparaissent dans une bouillie de sons. Ce n’est pas mon monde.

Mais d’un autre coté les jeunes ont plus de difficultés aujourd’hui, à mes débuts il y avait une 100 d’offres de travail et seulement 5 guitaristes pour faire le travail ! Aujourd’hui il y a 100 guitaristes pour 5 propositions.
Peu importe, jouer de la guitare est un métier magnifique, qui peut remplir une vie, bien plus que la méditation. Chacun doit découvrir son ambition, et travailler sans relâche sans se laisser dévier de son but.

Au cours de mes 53 ans de carrière, je ne me suis jamais ennuyé, j’ai eu tellement de satisfactions, et j’ai encore quelques belles années à vivre. J’espère pouvoir mener à bien tous les projets que j’ai. Je travaille encore tous les jours dans mon propre studio. C’est ainsi que j’ai réalisé mon dernier album Minor Swing (voir G & D 64 ). J’ai fait tous les instruments à partir d’une  » midiguitare  » grâce à un ordinateur, seule la guitare solo est vraie. Cela a représenté 4 mois de travail, mais c’est mon hobby et j’aime tant jouer, je ne mesure pas ma peine.

Mais mon plus grand plaisir est de jouer en public, il n’y a rien de plus beau que l’atmosphère d’un concert, où on va au delà de soi même pour plaire au public, où l’on réussit des choses jamais réalisées, où l’on sent le public vibrert tout prés.

 Va-t-on trouver de nouveaux Cds de Ladi Geissler ? 

Il y a un CD en préparation, j’ai enregistré plus de 30 albums, vous savez on peut encore trouver de quoi faire.

Merci Ladi Geissler et au plaisir de vous écouter un soir à Hambourg ou au moins sur CD.

Discographie

  1. Mr Guitar (Bear Family Records BCD 16917 AH)
    Mason Dixon line (1960) / Cannonball / Lonely guitar (1961) / Navajo / Forty miles of bad road (1960) / Colorado / Wheels (1961) / Geisterreiter (Riders in the sky) / Red river rock (1959) / Dreamin’guitar / Tomahawk (1962) / Stormy night guitar / 2 guitars / Johnny Guitar / Swing guitar / Ladi’s guitar Guitar lullaby / Zwei guitarren am meer / Mr Guitar / Guitar Tango / Helena (1963) / Little Geisha / Indigo (1961) / Yellow bird / Immer nur lächeln / Sur un marché persan / Little darlin (1957) / Banana boat song.

  2. Minor swing (Bear Family records Bcd 16227 AH)
    Kissin on the beach / Adac (*) / Samba pa ti / Persian market / Dos pajaros / One more for my lady (*) / Wave / Minor swing / Sunrise serenade / Siboney / Ballade für Birgit (*) / Andalusia (The breeze and I) / Johnny Guitar / Lovesong for Effi (*).
    (*) compositions de Ladi Geisler. Cet album représente un grand moment de guitare.