Henri CROLLA (France)

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Henri Crolla, un guitariste discret
Cette année est l’année du cinquantième anniversaire de la disparition de Django Reinhardt, disparu le 16 mai 1953. Cela nous donne l’opportunité d’évoquer les guitaristes qui ont poursuivi la tradition du swing manouche ou du jazz gitan.

Henri CROLLA fut l’un des premiers à poursuivre cette tradition. Il était contemporain de Django. Selon Alain Tercinet, Django allait le voir jouer lorsqu’il se produisait au Schubert, un club du Bd Montparnasse, et cela donnait le trac à Henri Crolla. Ils étaient extrêmement liés et se vouaient une admiration réciproque.

Henri était né en 1920 à Naples, sa famille s’était exilée lors de l’arrivée au pouvoir de Mussolini et des fascistes. La famille Crolla s’installa d’abord sur la Côte d’Azur, puis monta à Paris, où elle vivait près de la Porte de Choisy, voisine de Django qui installait parfois sa roulotte dans cette zone.

Henri Crolla commença à jouer de la mandoline à la terrasse des cafés de la porte d’Italie. Il fut aussi découvert par Emile Savitry, le peintre qui fit découvrir le jazz à Django. Savitry et le dessinateur Paul Grimault lui procurent une guitare et l’hébergent. Puis ils vont le présenter à la bande à Prévert qui devint une deuxième famille pour Henri Crolla. C’est chez Paul Grimault qu’Henri Crolla fit la connaissance de Django.

Henri Crolla avait débuté en 1938 à la Boîte à Sardines, puis joué avec Gus Viseur au Petit Jardin place Clichy. En 1939 on le retrouve au Jimmy’s Bar, certains voient en lui un concurrent de Django. L’occupation viendra freiner son ascension.

Il faudra attendre 1944 pour le retrouver à Montparnasse au Schubert. Puis il rejoint l’orchestre d’André Ekyan en 1948 avec du beau monde : Bernard Pfeiffer, Emmanuel Soudieux et Pierre Fouad. Il sera classé 3ø guitariste derrière Django et Roger Chaput au classement de Jazz Hot.

Crolla vouait une profonde admiration à Django, « Je pense toujours à Django et mon idéal a toujours été de jouer comme lui, car j’aimais profondément Django, non seulement le musicien, mais encore davantage l’homme parce que j’aime les enfants et Django avait au fond de lui la pureté des enfants ».

Henri Crolla puise aussi ses sources chez Jimmy Raney et Tal Farlow. Henri Crolla participera à la réformation du Quintette du Hot Club en 1954.

Entre temps Henri Crolla a joué avec « le jazz band » qui a accompagné Yves Montand de 1948 jusqu’au printemps 1954, avant de retrouver la scène jazz au Club Saint-Germain aux côtés de d’Emmanuel Soudieux à la contrebasse et Roger Paraboschi à la batterie, ainsi que Maurice Meunier, Géo Daly et Stéphane Grapelli.

Crolla était un grand timide, mais pratiquait l’humour et les farces. Alain Tercinet rapporte qu’une de ses facéties favorites était de faire la manche devant le Piano Club, où il était à l’affiche …

Henri Crolla, le mille-pattes comme l’avait surnommé ses amis, était un grand guitariste trop tôt disparu « C’’était notre musique, maintenant elle est cassée, notre musique » comme l’a déclaré Jacques Prévert.

Jean BACHELERIE, juillet 2003

Interview

Henri Crolla, une vie comme un roman : Entretien avec Colette Crolla et Norbert Gabriel
 Une histoire de famille 

Né à Naples en 1920 dans une famille de musiciens, un père accordéoniste, une mère qui joue de la mandoline, un frère violoniste, une sœur chanteuse, le jeune Henri était sur la bonne route. L’arrivée des chemises noires de Mussolini à Rome et leur prise du pouvoir en 1922, va pousser la famille Crolla sur le chemin de l’exil. Les Crolla et un groupe d’italiens choisissent la France, ils rejoignent Paris et la porte de Choisy. Leur grand-père y a réservé une cabane dans des baraquements où se trouve déjà une petite colonie italienne, prés du camp des gitans. Là l’un de leurs voisins n’est autre que Django Reinhardt. L’orchestre familial Jazz Crolla remonte sur les planches à Paris et dans les environs.

 Du banjo à la guitare 

Madeleine, la sœur aînée d’Henri lui prête une mandoline, avec laquelle il apprend à égrener ses premières notes, puis ce jeune frère aux dispositions précoces aura un banjo. La famille Crolla a connu la grande vie dans les années 10 jouant en Italie puis en Allemagne dans les boites huppées. Puis ce sera la guerre et le retour à Naples, les vaches maigres. La mère et les aînés des enfants veulent sortir de cette pauvreté en menant une vie normale avec un travail et un salaire.

Henri, lui est attiré par la musique et perpétue la tradition de la famille. Dés l’âge de huit ans il commence à faire la manche aux terrasses des cafés parisiens. Le peintre Henri Savin, de l’école de Montparnasse, a immortalisé ce petit gamin jouant du banjo sur l’un des piliers de La Coupole, le fameux café dancing de Montparnasse. La scène nous montre un petit rital jouant du banjo debout sur une jambe, appuyé contre un mur. Henri aime jouer du banjo, mais est fasciné par la guitare et les sons magiques de la guitare tenue par son voisin de la porte de Choisy, le jeune Django Reinhardt. Comme dans un roman cette première rencontre change la vie d’Henri, il sera guitariste.

A quatorze ans Henri va à l’école comme tous les jeunes garçons de son âge, mais il occupe les heures de déjeuner et parfois un peu plus pour aller jouer à la terrasse des bistrots, apportant ainsi son écot à la famille. C’est en jouant devant les bistrots en 1933 qu’il va croiser à la Rhumerie, Lou Bonin un acteur de théâtre, un des piliers du groupe Octobre, puis être présenté en 1934 à Paul Grimault et Jacques Prévert les figures de proue du groupe Octobre. Paul Grimault l’héberge, puis Prévert l’adopte. Ils lui font partager la vie du groupe. Logé prés de la place d’Italie, avenue Sœur Rosalie, il va enfin pouvoir jouer sur une guitare, que lui prête Grimault. Mieux Paul Grimault a décelé tout le talent qui se cache dans les doigts de ce jeune gamin, il l’initie au solfège. Jacques Prévert fasciné par ce talentueux adolescent le surnomme »mon petit soleil de la porte d’Italie ». Le groupe Octobre c’est un réseau, d’amis venus du théâtre, du roman, du cinéma, de la musique, de la peinture, des intellectuels, Paul Grimault y côtoie Emile Savitry, peintre lié avec Picasso, les frères Prévert avec lesquels il est amiàHenri est l’aise avec ces personnalités si différentes les unes des autres. C’est ainsi qu’il devient plus tard le ciment de ce groupe hétéroclite et contribue à en assurer la cohésion. En 1935 Henri y rencontre Mouloudji et son frère André qui travaille avec Marcel Duhamel, traducteur et publiciste.

En 1938 Henri fait ses grands débuts de guitariste, à la Boîte à Sardines avec Gus Viseur, l’accordéoniste de jazz. En 1939, Paul Grimault lui offre sa première Selmer, et il fait un passage remarqué par les connaisseurs comme Charles Delaunay, cofondateur de Jazz Hot au « Jimmy’s bar », rue Vavin à Montparnasse, où passent aussi les frères Salvador et des pointures comme Bill Coleman.

Le Jimmy’s bar fondé en 1938 a connu des débuts difficiles. Un jour Henri Salvador a eu une idée pour attirer le public, il est allé à Vincennes ramasser des fers à chevaux, qu’il a déposé sur les pare brises des voitures avec un petit mot rendez-vous au Jimmy’s. Tout ce beau monde s’est retrouvé au Jimmy’s.

 1939 la guerre 

Dans la vie comme dans un roman rien n’est simple, en 1939 la guerre éclate, L’Italie rappelle son ressortissant à ses devoirs, Henri est appelé sous les drapeaux de l’Italie du Duce en 1941. Incorporé à Gênes, il est muté à Naples, où clin d’œil de la chance, le commandant du régiment est un mélomane, adorant la guitare. Colette rappelle le numéro fait par Henri à son incorporation : « donnez-moi une liste de personnes à tuer, qu’on en finisse vite. » Son humour compris ou non et sa qualité de guitariste, lui permettent d’échapper ainsi au maniement des armes. Au bout de deux mois, il déserte avec un copain, sa guitare sous le bras et gagne Nice en traversant les Alpes en 1943. Là il retrouve Paul Grimault qui va le remettre en scène. Paul est tellement impressionné par la vélocité et l’habileté d’Henri qu’il le surnomme « mille-pattes ».

 L’Occupation 

Durant ces années difficiles, ces années noires pour la majorité des français, Henri joue parfois avec son modèle Django au Shéhérazade prés des Champs-Élysées, où le swing est toléré, passe au Bœuf sur le toit avec Mouloudji, qu’il pousse sur scène l’accompagnant à la guitare. Comme le rappelle Colette Crolla »Ce qui passionnait Henri dans la chanson, c’est la possibilité de faire un spectacle avec un musicien, un chanteur sur un bout de trottoir devant un public ». Il poussera ainsi bien d’autres jeunes talents vers la chanson ou la musique.

On le voit aussi dans une boîte de la rue Delambre sur la rive gauche à Montparnasse, là il joue avec Henri Salvador. Mais les temps sont durs et il fait aussi des petits boulots pour survivre. En mars 1944 engagé par Pierre Saka, il joue à la salle Pleyel les valses de Chopin avec un trio « lui, toi et moi ». En 1943 Crolla joue à la terrasse du Flore à Saint-Germain, et fait connaissance avec Simone Signoret. Elle disait « c’est par Crolla et ses amis, que j’ai appris Jacques Prévert et ceux qui l’aimaient ».

 La Libération et le retour au Jazz 

Il faudra attendre 1944 pour que la notoriété d’Henri Crolla déborde le cercle des initiés et qu’Henri retourne au jazz. Il rencontre Léo Chauliac, Emmanuel Soudieux et André Hodeir grâce à Joseph Reinhardt. Henri Crolla passe au Schubert, Boulevard du Montparnasse, une boîte minuscule, installée dans une cave, au bas d’un escalier en colimaçon. Cet escalier resté à jamais gravé dans la mémoire d’Henri, la scène a été immortalisée par Woody Allen dans son film dédié à Django Reinhardt « Accord Désaccords ». Henri jouait magistralement jusqu’au moment où son regard apercevait la pointe des chaussures blanches de Django, venu l’écouter en voisin et ami. A La vue de Django, il est alors paniqué, tétanisé.

Il faut dire que des musiciens, des comédiens comme Reggiani, des spécialistes comme Charles Delaunay et les revues comme Jazz Hot en font l’égal de son aîné de dix ans, le grand Django. Citons Jazz Hot : »le jour n’est pas loin où ceux qui considèrent Henri Crolla avec suffisanceàseront obligés de reconnaître sa valeur »à. Henri Crolla « aimait profondément Django, non seulement le musicien mais encore davantage l’hommeàmon idéal a toujours été de jouer comme Django. Django qui avait au fond de lui la pureté des enfants ».

En 1946 Charles Delaunay la grande figure du Jazz français, se lance dans la production de disque avec le label Swing. Son principe est simple, réunir la fine fleur du jazz français, lui faire enregistrer 4 morceaux sur 78 tours et envoyer ces disques outre atlantique. Les morceaux étaient : une composition de Django, une composition originale, un standard, et un titre au choix. Avec le 4ø disque Crolla apparaît dans un « big band » formé d’Alex Renard, Roger Guérin, trompette, Hubert Rostaing, clarinette, Henry Perret, saxo ténor, Léo Chauliac, piano, Arthur Motta, batterie, Roger grasset, basse et Crolla. On y entend un solo de 30 secondes d’Henri Crolla dans Minor Blues, le son de la guitare est d’une qualité remarquable, les autres titres sont Direct, composé par Rostaing et Renard, Autumn Harmony (Chauliac) et blues (Rostaing /Renard). »C’est le début du son Crolla » comme le dit son biographe Norbert Gabriel.

Avec Chauliac et Soudieux, ils forment un trio à la Nat King Cole qui obtiendra en 1947 le prix de l’Académie du Jazz. Une série de disques sera enregistrée chez Pacific.

 Autres rencontres : Montand et Colette 

En 1947 Prévert demande à Henri de mettre en musique une chanson qu’il a écrite pour Montand : la chanson des cireurs de souliers. Il mettra huit mois, comme le rappelle Colette Crolla «Jean Gabin disait « les points de suspension de Prévert, il faut se les faire ! ». à la fin de l’année Prévert présente son compositeur à Montand, perplexe sur la personne, Crolla pas impressionné lui apparaît distant, il est emballé par la chanson devenue « les cireurs de souliers de Broadway ».

Montand à partir de là a commencé à reconstruire sa vie avec Bob Castella, son pianiste et Henri Crolla. Une complicité professionnelle et culturelle, ils sont d’origine italienne et populaire, va les unir dans une amitié indéfectible. Sous de tels auspices Henri Crolla poussé par Prévert met en musique les textes de ce dernier, cela donne : les petits cireurs de souliers de Broadway, Sanguine, simple comme bonjour, cri du cœurà.

L’orchestre de Montand en 1948 a fière allure aux côtés de Bob Castella et Henri Crolla, on trouve Roger Paraboschi, le batteur, Marcel Azzola ou Freddy Balta à l’accordéon et les Français Hubert Rostaing, à la clarinette et Emmanuel Soudieux à la basse. Rien d’étonnant à ce que le répertoire de Montand ne devienne plus jazz.

Montand étoile en pleine ascension reste intimidé par les intellectuels et Prévert en particulier. L’ami Crolla, admirable passeur, copain des intellectuels de Montparnasse, pousse Montand à se frotter à ce milieu. C’est ainsi qu au hasard d’une tournée estivale dans le midi, il pousse Yves à rendre visite à Jacques Prévert à Saint Paul de Vence, à la dentisterie, le refuge du poète.

Une jeune femme Colette, journaliste, avait interviewé Yves Montand et sympathisé avec ce chanteur méditerranéen. Début 1948 Yves Montand retrouvant Colette, la présente à son guitariste, « l’égal de Django « .. Quelque temps plus tard, Henri épouse Colette à la mairie du Ier arrondissement à Paris, entouré de ses deux témoins Prévert et Grimault, qui signeront le registre le premier d’un chat malicieux, le second d’une fleur, Henri signant d’un soleilà

Colette et Henri ont une amie commune, la femme d’Yves Allégret, le metteur en scène, l’actrice Simone Signoret .. Peu après en tournée sur la côte, Montand et ses amis vont se reposer quelques heures à Saint Paul de Vence, rendent visite à Prévert. Une belle jeune femme, Simone, est là. Henri la présente à Yves Montand.

 Crolla et Montand, la période Music Hall 

Henri Crolla et Bob Castella sont des piliers de l’entourage de Montand, ils vont aider Yves à affiner son style, à l’enrichir musicalement. Comme l’écrivent joliment H.Hamon et P. Rotman « Bob est l’architecte, Henri le décorateur »(1). Crolla est un homme franc et direct, il sait se faire entendre par Montand, c’est un conseiller écouté. De plus Henri compose beaucoup et écrit aussi parfois les paroles de chansons comme « Car je t’aime ». Crolla est le conseiller artistique, il reçoit les compositeurs et fait un premier tri. C’est à cette époque que Montand invente le rideau de tulle placé entre le chanteur et les musiciens. Les musiciens étaient placés derrière le chanteur en fonction de la puissance sonore de leur instrument. Crolla était au premier rang, le plus proche de Montand, au point que beaucoup de gens le considéraient comme le chef d’orchestre, tellement il suivait des yeux Yves et l’aidait à corriger les imperfections de son tour de chant.

L’un des grands moments de cette collaboration sera le triomphal passage au Théâtre de l’Etoile du 5 octobre 1953 au 5 avril 1954, 6 mois à l’affiche, plus de 200 représentations. Un « record absolu ». du peuple aux personnalités du monde artistique, intellectuel et politique tout le monde se bouscule pour assister à ce grand show. Comme le dit Colette Crolla à « Ce que je voudrais le plus revivre, c’est une soirée à l’Etoile » dans « Tu vois, je n’ai pas oublié »d’ H.Hamon et P.Rotman.(1)

Cette complicité se poursuivra encore pour une dernière tournée, la fameuse tournée en URSS et dans les pays de l’Est de décembre 1956 au printemps 1957. Colette Crolla rappelle »l’accueil fut triomphal ». Henri dont l’humour était légendaire, devant la multiplication des réceptions et des discours convenus eut ce bon mot « kolkhoze toujours ». Ce voyage était historique, c’était la première fois depuis les débuts de la guerre froide qu’un artiste occidental se produisait au-delà du rideau de fer. Un enregistrement d’un des concerts de Moscou (décembre 56) a été retrouvé au début des années 90 dans les archives de l’union soviétique. Pour l’anecdote, Norbert Gabriel, biographe d’Henri Crolla, note que le cédé (2) n’est pas complet, il manque « C’est à l’aube », le jeu de Crolla est plus volumineux, et l’on retrouve pour compléter 5 titres du récital de l’Etoile en 1958 (2), où Crolla présent sur le disque, est remplacé en scène par Didi Duprat qui est devenu son successeur. A partir de 1954, Montand est attiré par le cinéma et délaisse un peu sa carrière de chanteur.

 Henri Crolla jazz et musique de films 

Henri Crolla frappé par la disparition subite de Django, retrouve les boîtes de Saint-Germain, et le jazz, avec Grappelli, ils forment un quartet : violon, guitariste, basse et accompagnement, la formule idéal, comme Grappelli le racontait « nous formions une petite famille heureuse ». On retrouve huit morceaux enregistrés à cette époque dans le cédé Stéphane Grappelli, le meilleur de S.Grappelli dans la collection EMI jazz (2). C’est à partir de là qu’Henri prendra goût aux enregistrements en studio.

Fatigué de la vie de saltimbanque, des longues tournées, Henri Crolla se tourne vers la composition de musique de films. En 1949 il a déjà composé la musique du court métrage Saint Paul de Vence, puis continué avec Georges Franju puis Jacques Cousteau. En 1954 il se lance dans les longs métrages comme « Gas-Oil » de Grangier avec Jean Gabin et Jeanne Moreau, (ainsi qu’un jeune débutant Roger Hanin), suivi de Sacré Gamine (1955), la Parisienne (1957) et Voulez vous danser avec moi (1959) avec Brigitte BardotàIl cosigne avec André Hodeïr. Henri trouve la mélodie et Hodeïr écrit et complète. En 1959 ils composent Saint Tropez Blues avec Marie Laforêt qui fait ses débuts de chanteuse, avec la chanson du film dont les paroles sont de Prévert, et Higelin fait ses premiers pas, puis Os Bandeirantes avec Helga Andersen.

En 1956, Henri enregistre un album d’airs populaires, intitulé le long des rues, où il revisite le répertoire de ses débuts, les années 30 et quarante. Il décroche le Prix Charles Cros.

Il profite de cette vie plus sédentaire pour renouer avec le jazz en studio. Il enregistre avec Léo Chauliac, puis toujours chez Véga avec Géo Daly, Martial Solal, Georges Arvanitas, E.Soudieux, Jacques David.. Cela nous donne les disques sortis de 1955 à 1958 réédités dans la série jazz in Paris : Notre ami Django, Begin the beguine, Quand refleuriront les lilasàCe dernier disque reprend les airs populaires des années 40/50 .

Il sort en 1959 un disque de musique de films « c’est pour toi que je joue » chez Vega, on y retrouve l’air de Simone, intitulé sur la pochette « Porte de Choisy », la Parisienne, et onze autres morceaux.

 Crolla et le cinéma 

Henri est connu pour son humour et son goût pour les gags. De la musique de films au cinéma, il n’y a qu’un pas qu’Henri Crolla franchit en 1957… Il joue dans « Enrico cuisinier » film dont le scénario est de Prévert et Grimault. A la fin du film, il enlève sa toque et l’on découvre un pot de fleur avec une marguerite sur sa tête.

En 1960 Henri Crolla tourne « le bonheur est pour demain », il a bataillé pour enlever le rôle. Son attirance pour le cinéma, il la doit à Harry Max, comédien, copain de Montand, qui disait »Crolla est une nature, il devrait faire du cinéma ». Henri Crolla était un homme tourmenté et dissimulait ses angoisses avec un humour légendaire. Ce film sera la dernière apparition de Crolla.

Dans ce film figure aussi le jeune Higelin, qu’il pousse à jouer de la guitare et à chanter. Il lui offre peu avant sa mort une guitare Di Mauro. Brusquement il se sent fatigué. Quelques mois auparavant, en 1959, il avait eu un accident de la circulation. Henri fait de gros efforts pour achever le tournage.

 Crolla accompagnateur 

Comme accompagnateur il a travaillé avec Germaine Montero, Jean Claude Pascal, et aussi avec Henri Salvador et Mouloudji. Il a facilité la rencontre de ce dernier avec Piaf, pour laquelle il a composé la chanson cri du cœur. Un autre personnage croise Henri, Georges Moustaki fasciné par le jeu de Crolla, il écoutait les disques où figuraient Crolla, concentrant son attention sur son jeu de guitare.

Dans une boîte à Cannes Crolla avait entendu en 1957 un jeune guitariste qui chantait. Un an plus tard il compose une chanson, mais il s’aperçoit qu’elle ressemblait à une chanson de Moustaki. Il est très ennuyé. En 1958 Il appelle Moustaki dans un bistrot de la rue des deux Ponts, où ce dernier habitait. Laisse un message. Il explique cette ressemblance à Moustaki, il propose de partager les droits. Ensemble ils vont voir Piaf, pour finir la journée entre amis et lui présenter les chansons de ce jeune auteur. C’est ainsi que Moustaki a rencontré Piaf.

Homme généreux et attentif, il a aidé bien des jeunes talents comme Jacques Higelin, à qui il offrit sa première guitare. Comme le dit justement un de ses amis « le jour où l’on a connu Crolla, on a changé ».

 La fin brutale 

Tout allait pour le mieux, dans la vie d’Henri. Il coulait un bonheur paisible auprès de Colette, qui lui a donné deux enfants, un fils Paul et une fille Marie.

Mais depuis quelques temps fatigué, il entre à l’hôpital pour se faire opérer d’un poumon. Comme dans un roman Henri meurt le 17 octobre 1960, il avait 40 ans.

Il a laissé sa guitare préférée une Selmer 453 achetée en 1939 à sa femme, distribuant les 4 autres. Que sont devenues les quatre autres guitares, en particulier la Selmer 719 de 1950 ? Les rumeurs circulent mais personne ne sait vraiment. Norbert Gabriel aimerait bien en savoir plus (3).

Dernier clin d’œil de ce grand monsieur, il a souhaité que l’on fasse la fête à sa mort. Tous ses amis se mobilisent. Lucien Morisse lui dédie une émission sur Europe 1 : » la fête à Crolla », où viennent témoigner et chanter pour lui Piaf, Montand, Mouloudji, Prévert, Grimault, E.Soudieux…Ce dernier se souvient encore d’Henri : »Ce mec il savait donner à chacun..(ce dont il avait besoin) »

José Artur parlera souvent de lui dans ses émissions. Il aura cette formule »Crolla avait une désespérance élégante ». Cette mort Crolla l’aurait senti venir, sans jamais en parler à ses proches. Laurence, la mère de Django, lui aurait lu les ligne des mains, dans les années 20, lorsqu’il traînait autour de la caravane, apprenait la guitare en écoutant Joseph Reinhardt et en rêvant de Django, lui prédisant « Tu mourras à quarante ans ».

Le jour de son enterrement Yves Montand n’arrivera pas à cacher son émotion, il venait de perdre son grand ami. Laissons le dernier mot à Bob Castella »Crolla, c’est un peu comme Simone Signoret, on ne le voit plus, mais il n’est pas mort »cité par Hervé Hamon et Patrick Rotman.

Remerciements à Colette Crolla et Norbert Gabriel, biographe d’Henri Crolla.

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