Hal BLAINE

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Le forçat du rythme
Même s’il est peu connu du grand public, Hal Blaine est considéré, aujourd’hui, comme une véritable légende vivante dans le milieu professionnel de la musique populaire américaine. Durant les quatre dernières décennies, ce batteur aurait joué, pour divers artistes, sur environ quatre mille morceaux, dont trois cents qui sont devenus disques d’or et quarante qui ont atteint le sommet du Hit Parade US. Il a joué notamment dans le staff de Phil Spector sur les disques des Crystals ou des Ronettes (avec leur mythique Be My Baby), mais aussi sur un nombre incroyable de disques de Surf (aussi bien pour ® aider ¯ des groupes débutants, que derrière Jan and Dean, sur certains titres des Beach Boys, de même que sur les productions de Gary Usher).

Elvis Presley, Frank Sinatra, Dean Martin, Simon et Garfunkel, les Carpenters ou Herb Alpert (parmi tant d’autres) ont également utilisé ses compétences. Car des compétences, notre homme en avait à revendre. Adaptable à tous les styles, capable de lire la musique (il était l’un des seuls batteurs à savoir lire une partition), fiable (pas besoin de longues répétitions), il n’était pas un fonctionnaire du ® beat ¯, l’oil rivé sur la pendule du studio, car il prenait toujours le temps et le soin d’apporter des idées originales sur la manière de construire un arrangement. Il était en outre, de l’avis général, agréable à vivre et toujours disponible pour un coup de main. C’était un musicien qui ne cherchait jamais à se mettre en valeur, préférant avant tout privilégier les artistes qu’il était chargé d’accompagner.

Son style, qui peut aller de la plus grande discrétion au punch le plus démentiel, est pourtant, toujours reconnaissable. Non content de rythmer un morceau avec un fluide extraordinaire sans inutiles fioritures, il lui arrive de le soulever littéralement et de le propulser vers un niveau jamais atteint (écouter plus spécialement les productions Phil Spector, ou bien le Good Vibrations des Beach Boys).

Hal Blaine était, paraît-il, si souvent demandé pour des sessions d’enregistrement dans tous les coins du pays qu’il possédait une batterie attitrée (aménagée et réglée selon ses directives) dans chaque grand studio d’enregistrement, ceci afin de lui éviter les contraintes du transport. Car notre homme était un rat de studios et ne les quittait pratiquement jamais.

Malgré un emploi du temps très chargé, Hal Blaine se fit mieux connaître en ayant eu le plaisir d’enregistrer sous son propre nom deux albums d’instrumentaux, ® Deuces, Ts, Roadsters õ Drums ¯ en 1963, et ® Drums ! Drums ! à go go ¯ en 1966. Mais, avant de parler de ces deux disques (qui ont été réédités en CD), il est intéressant de parcourir l’itinéraire musical de cet artiste hors norme.

De son véritable nom Harold Simon Belsky, Hal est né le 5 février 1929 à Holyoke, Massachusetts. Issu d’une famille pauvre, il aide souvent, dès l’âge de dix ans, son père qui travaille dans une tannerie à Hartford, Connecticut. Dans cette ville, le théâtre local permet parfois à des Bigs Bands de Jazz comme ceux de Count Basie, Tommy Dorsey ou Benny Goodman de se produire sur scène. Le père de Hal emmène alors son fils assister aux prestations de ces jazzmen. Là, le garçon est surtout fasciné par l’extravagance du célèbre batteur Gene Krupa.

En 1944, la famille s’établit en Californie. Hal crée de ses propres mains une batterie de fortune pour accompagner, des nuits entières, des copains dans des jam-sessions d’amateurs, seul musicien Blanc parmi les Noirs. Et quelle meilleure école pour apprendre les subtilités du rythme que ces parties interminables et endiablées. Il se perfectionne néanmoins à la Roy Knapp School Of Percussion, où étudia auparavant son idole Gene Krupa.

Hal se fait vite remarquer grâce à son talent inné. En 1952, un disc-jockey, Bill Bellman, qui est également compositeur, l’invite dans le petit studio de la radio où il travaille pour enregistrer des démos. C’est à ce moment qu’il décide de devenir musicien professionnel.

Mais Hal est stoppé net dans ses ambitions car il doit faire son service militaire et l’armée l’envoie se battre en Corée pour plusieurs années. Une fois rendu à la vie civile, il reprend sa batterie pour des petits jobs d’accompagnateur sur scène de divers chanteurs peu connus, ce qui l’emmène en 1957 derrière la future vedette Tommy Sands. Pour Capitol, Hal enregistre avec lui le tube Teen-Age Crush, qui entre dans le Top Ten. La carrière (éphémère) de Tommy Sands est lancée, entraînant dans son sillage celle de Hal Blaine (qui sera beaucoup plus longue, elle !). Car le style bien distinctif, déjà, de notre homme n’est pas tombé dans l’oreille de sourds. Et comme le rock a le vent en poupe, ce batteur est recherché pour son efficacité et son adaptation spontanée à ce genre de rythme. Car les batteurs authentiquement rock ne sont pas encore légion dans la place, à cette époque.

En 1959, il joue sur Baby Talk des futures stars du Surf, Jan and Dean, qui entre également dans le Top Ten. En 1961, il rythme Can’t Help Falling in Love With You et Return to Sender d’Elvis Presley, qui fera appel à lui pour nombre de sessions tout au long des années 60, notamment pour ses musiques de films.

En 1962, Hal est engagé par Phil Spector. Grâce à son professionnalisme, il s’entend à merveille avec ce producteur maniaque et dictatorial lors des séances pour les artistes de son écurie. Son timing parfait et ses innovations font merveille dans la charpente du fameux ® Wall of Sound ¯, et permettent à Phil Spector de produire des titres devenus mythiques : He’s a Rebel, Then He Kissed Me et Da Doo Ron Ron des Crystals ou, on l’a dit, le fameux Be My Baby des Ronettes. C’est là que le batteur va se lier d’amitié avec certains musiciens maison comme Tommy Tedesco (guitare) ou Carol Kaye (basse).

En 1963, Hal Blaine s’offre une fantaisie, l’enregistrement chez RCA de son album de Surf instrumental ® Deuces, Ts, Roadsters õ Drums ¯ qui sort sous le nom de Hal Blaine and The Young Cougars. Ces derniers sont ses amis, piliers de studio comme lui : outre Tommy Tedesco et Carol Kaye, on y trouve également Glen Campbell, Billy Strange et William Pitman (guitares), Ray Pohlman (basse) ou Frank Capp (percussions), ainsi qu’une section de cuivres. Surfant (c’est le cas de le dire) sur la mode musicale Surf/Dragsters du moment dont Hal est devenu l’un des piliers, ce disque se compose uniquement d’instrumentaux, fortement rythmés, ayant chacun pour titre le nom d’une voiture ® customisée ¯ : Challenger II, Green Monster, Nashville Coupe, Mr. Eliminator, The Phantom Driver, Big T, etc. Ces titres sont tous des originaux signés Lee Hazlewood, Marshall Leib, Scott Turner, David Gates et, bien sûr, Hal Blaine. La pochette de l’album, bien dans le style de l’époque, représente Hal assis devant sa batterie sur la plage de Malibu entouré de quatre dragsters rutilants de tous leurs chromes.

L’année 1963 est l’apogée du Surf vocal et instrumental californien et Hal Blaine est dans tous les bons coups : il est un permanent des innombrables productions de Gary Usher comme les Hondells ou les Super Stocks, soutient Jan and Dean (Surf City, Drag City, Dead Man’s Curve), se cache dans l’ombre les Rip Chords, et travaille sur certains titres des Beach Boys. Grâce à Hal, même les artistes les plus obscurs du Surf voient leur oeuvre sortir de l’ordinaire grâce à son style explosif.

En 1965, Hal est engagé (parmi d’autres) par le nouveau label de Lou Adler, Dunhill Records au sein duquel il va accompagner tous les artistes de cette écurie, dont les Grass Roots et les célèbres Mamas and Papas, au côté de ses amis Tommy Tedesco, Joe Osborn, Larry Knechtel, Al de Lory, Bill Pitman et Carol Kaye.

C’est à cette occasion que sort chez Dunhill Records, en 1966, le deuxième album instrumental de Hal Blaine : ® Drums ! Drums ! à gogo ¯, sous-titré : ® The Fantastic Percussive Sound Of Hal Blaine ¯. La pochette représente Hal en action devant sa batterie, très ® pro ¯ en veste et noeud papillon, sur fond noir. La référence au Surf est abandonnée puisque ce disque est constitué en majeure partie de reprises instrumentales de chansons extraites du Hit Parade des dernières années comme Wooly Bully, Money, Cannonball, La Bamba, Rumble, California Sun, Land of 1000 Dances. Le titre vedette, Drums A Go Go, est, lui, signé des compositeurs maisons Phil Sloan et Steve Barri (ex Fantastic Baggys, excellent groupe de Surf vocal du début des années 60). Ces instrumentaux sont enregistrés en direct en studio, avec cris et applaudissements, comme lors d’une party.

En 1966, Hal participe, toujours avec sa bande (qu’il appellera ® The Wrecking Crew ¯, en référence ironique à un musicien frustré qui avait accusé Hal de ® couler le métier ¯), à l’enregistrement du chef d’oeuvre des Beach Boys, l’album ® Pets Sounds ¯ puis à leur monumental 45t Good Vibrations, et devient à cette occasion l’un des meilleurs amis de Brian Wilson.

Hal poursuit ensuite sa carrière en jouant en studio avec les plus grandes stars pop de l’époque : Sonny and Cher, les Byrds (Mr. Tambourine Man), Paul Revere and the Raiders, Tommy Roe (Dizzy), Nancy Sinatra, Barry Mc Guire (Eve of Destruction), Gary Lewis and The Playboys, Bobby Darin, Johnny Rivers, les Fifth Dimension, et même les Monkees. Il est aussi un habitué de Simon et Garfunkel, notamment en 1969 pour leur majestueux Bridge Over Troubled Water.

Dans les années 70 et 80, Hal verra néanmoins son activité décliner, en grande partie à cause des rythmes électroniques de plus en plus souvent utilisés par les studios d’enregistrement. Cela n’est plus très important pour lui. L’âge venant et fortune faite, il se détache peu à peu du métier. Il sera pourtant encore demandé ponctuellement là où les rythmes synthétiques ne peuvent remplacer la ® patte ¯ d’un orfèvre du beat.

En 1990, Hal publie ses mémoires : ® Hal Blaine and The Wrecking Crew ¯.

Le 6 mars 2000, c’est la consécration de la fantastique carrière d’un fantastique musicien car il est nominé au prestigieux Rock and Roll Hall Of Fame, les bras chargés de disques d’or, et félicité par Mike Leiber et Jerry Stoller.

Ainsi se termine en beauté la carrière exemplaire et unique d’un musicien qui aura tout connu de l’âge d’or du Rock et de la Pop, et ceci non par le fait du hasard mais grâce à un savoir-faire protéiforme, unique en son genre, au service de la musique et des artistes. C’est à ce titre que ce modeste hommage à Hal Blaine se devait d’être rendu.

Pierre HECKER (février 2004).

Discographie (60)

Hal BLAINE

  1. Drums ! Drums ! à Go Go (Varese Sarabande VSD-5612 (1995))
    Popsy’65 / Wooly Bully / Whiskey A Go-Go / Money / Cannonball / La Bamba / Rumble / California Sun / Oo Poo Pah Doo / Midnight ar Pinks / Land of 1000 Dances / Drums A Go Go / Bang Bang Rhythm / The Invaders / The Swinger / Secret Agent Man.

Hal BLAINE & the YOUNG COUGARS

  1. Deuces – T’s – Roadsters & Drums (Sundazed Music SC 11101 (2001))
    Challenger II / Green Monster / Nashville Coupe / Mr Eliminator /Pop the Chute / Deuces, T’s, Roadsters & Drums / Gear Change / The Phnatom Driver / Gear Stripper / Big T / The Traps / Drum Brakes.. Bonus: Hawaïi 1963 / East Side Story / Dance with the Surfin Band / The Drummer Plays for Me / Bulldog Drummin’ * / Mutiny On the Bongos * / The Dip / How come I Love you So Much * / Git It* / Phillzie’s Friend *.
    * inédits
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