Charlie CHRISTIAN (USA)

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Charles CHRISTIAN est né le 20 juillet 1916 à Dallas (Texas). Le père de Charlie, Clarence Henry Christian, était musicien (entre autres trompettiste) et sa mère pianiste. Les parents auraient joué ensemble au Dallas Movie Theater alors que Charlie était encore au berceau. Le père enseignera à ses trois fils à jouer une variété d’instruments, leur apprenant aussi à chanter des morceaux populaires; on raconte que Charlie encore bébé était entouré d’objets sonores placés à son intention par ses parents afin qu’il apprenne à distinguer les sons.

La famille émigre à Oklahoma City lorsqu’il est âgé de cinq ans. Le père arpente les rues, guitare en bandoulière, afin d’amener un peu d’argent à la maison. Parfois, il arrive que ses fils l’accompagnent. Les frères de Charlie sont : Clarence qui joue du violon et de la mandoline, et Edward qui pratique la string-bass avec aisance. Les trois frères accompagnaient leur père qui donnait la sérénade pour quelques sous à des familles blanches du voisinage. Mais ce-dernier décède alors que Charlie n’est âgé que de 13 ans, tandis que son frère Edward, son aîné de dix ans avait déjà sa propre formation en ville.

Charles suit les cours de la « Douglass Elementary School » où Miss Zelia BREAUX aura délivré son programme d’éducation musicale aux trois frères. Louis Armstrong, qui avait réussi dans le jazz, est l’un des premiers « héros » du jeune Charlie. Il représente « le Noir qui s’en était sorti, financièrement et moralement », malgré l’énorme barrière du racisme ambiant. Le jazz permettait cette issue. Charlie se passionne également pour le base-ball, les « Negro Leagues » offrant une certaine option de liberté financière et d’évolution. Il va écouter le trompettiste James SIMPSON et le guitariste Ralph « Big Foot » HAMILTON qui jouait déjà une sorte de style de phrasé note à note. Celui-ci lui apprit trois morceaux : « Rose Room », »Tea For Two » et « Sweet Georgia Brown ». Edward, le frère aîné, ignorait que Charlie s’était mis à la guitare, et il fut étonné de le voir jouer en ville, aux côtés d’Hamilton. La première guitare de Charlie est censée avoir été une vieille boîte à cigares. Ralph ELLISON, ami d’enfance de Charlie, qui deviendra écrivain, intellectuel, critique et sociologue militant pour la cause Afro-Américaine, rapporte que ses premiers riffs étaient basés sur des accords sophistiqués et des progressions « inconnus de Blind Lemon Jefferson. Pas d’autre boîte à cigare de ma connaissance qui ait jamais produit de tels sons ! ». Charlie écoutait aussi avec attention les arpèges diminués du guitariste Eddie LANG, sur « Singin’The Blues » par exemple, et s’efforçait de les reproduire. Il écoutait aussi la guitare de Lonnie JOHNSON sur les faces gravées auprès d’ Armstrong. Dès la fin des années 20, « The New Piano Music » remplaça Bach, Mozart, les harmonies Classiques, Strauss, le style Ragtime ainsi que les accompagnements traditionnels connus en Blues, semblant les avoir incorporé dans ce Boogie-Woogie-Jump-Swing.

Le saxophoniste Lester YOUNG fit preuve dans le jazz de ce nouveau « beat », d’initiatives pionnières, exprimant dans ses solos des apparences de voix humaines, tout comme Louis Armstrong s’était mis à faire des phrases en « scat (onomatopées, de style pre-bebop). Dès le début des années 30, Charlie joue dans les clubs d’Oklahoma City avec ses frères sous le nom de groupe de : The JOLLY JUGGLERS. Il va écouter les BLUE DEVILS où il a la chance d’entendre et de voir en chair et en os Lester YOUNG le novateur, qui vient de rejoindre cette formation, à Okhlahoma City. Charlie énamouré par le style de Young veut que sa guitare « sonne comme un saxophone ». Dès 1932, il allait impressionner ses auditeurs, et multiplier les bœufs en compagnie d’orchestres (Territory Bands) de passage, et en 1934, il part sur la route comme bassiste avec l’orchestre d’Alphonso TRENT. Exposé à une grande variété de musiciens et de styles, à la frange de « ce qui montait » musicalement, il va rencontrer Eddie DURHAM et Jim « Daddy » WALKER qui lui font découvrir les merveilles de l’amplification toute nouvelle de la guitare. Eddie, ce « guitariste-électronicien » dont l’amplificateur était en lui-même une attraction, se souvient que Charlie jouait un peu de piano, mais se montrait encore timide à la guitare. Il lui aurait confié quelques « trucs professionnels » en lui donnant trois/quatre cours sur « une guitare acoustique abîmée à 5$ « .

A Chicago, une publicité de presse vantait les mérites d’une « Vi-vi-tone Power Guitar », dotée d’un volume « multiplié par 33 » ! … Charlie décide assez vite de former son propre petit combo, investissant dans le nouveau modèle de Gibson ES-150, et sillonne dans la région avec l’Orchestre d’Anna Mae WINBURN où il commence ainsi à jouer de la guitare électrique. Il cherche à reproduire les notes du saxophone de Lester YOUNG qu’il adore. Il rencontre alors Aaron « T.Bone » WALKER qui partage la même passion que lui pour la guitare électrique, et en compagnie de Chuck RICHARDSON qui supervise leurs « jams », leur donnant des conseils techniques, et d’ Edward, le grand frère, au piano, ils se produisent quelque temps ensemble à Dallas. Charlie, meilleur soliste de jazz que T.Bone sera choisi par Lawson BROOKS pour son orchestre. En 1936, à Oklahoma City, Charlie était néanmoins déjà « une star ». Il ne s’inspirait pas uniquement des phrasés de saxophone, mais aussi de ceux des trompettistes. Il aurait même voulu apprendre à jouer de cet instrument, auprès de James Simpson. Plus tard, les solos de Miles Davis et Clifford Brown ne tomberont jamais « dans l’oreille d’un sourd ». Les trompettistes de Count Basie : Shad Collins, Harry « Sweets » Edison, Ed Lewis, Buck Clayton, Herschell Evans contribuèrent aussi à la création musicale originale de Charlie qui s’affirmera en 1939, année où il s’achète un Victrola portable, et …des 78 tours de Basie!.

En 1939, Charlie CHRISTIAN rejoint une nouvelle fois l’Orchestre d’Alphonso TRENT et participe à une tournée complète des USA. Il étonne le public à chacun de ses concerts en faisant alterner ses solos de guitare avec ceux du trompettiste et du saxophoniste ténor. A Bismark (North Dakota), la jeune guitariste Mary OSBORNE qui venait d’ouvrir un club, est ébranlée lorsqu’elle entend pour la première fois ces nouveaux sons qui ressemblent à « du saxophone distordu », réalisant, lorsqu’elle entre dans la salle qu’il s’agissait de la guitare électrique de Charlie CHRISTIAN. Découvrant l’amplificateur et cette nouvelle guitare possédant un micro: la Gibson ES-150, adoptée par Charlie. Dès le lendemain, elle part à la recherche de ce matériel, arpentant tous les magasins de musique de la région, et finit par trouver la guitare pour 85 $. Pour 45 $ de plus, elle persuade un ami de lui construire un ampli. Charlie et Mary connurent très probablement une aventure amoureuse; ils jouaient de la guitare ensemble, et Mary décida rapidement, à son contact, de former son propre trio, que Django Reinhardt en visite aux States vint écouter au « Kelly Stables » de New York City. Très influencée par le jeu de Charlie, caractérisé par des accords diminués et augmentés, la jeune Mary OSBORNE fit sensation, tandis que ce dernier resta deux ans avec TRENT, expérimentant les harmonies les plus avancées, créant ses propres improvisations autour des meilleurs standards du moment. Il avait écouté les disques de Django et se montrait capable de jouer ses morceaux. Au « Musician’s Rest » de Minneapolis, en 1938, il y eut cette jam-session mémorable avec le contrebassiste Oscar PETTIFORD qui fut lui aussi, très impressionné, et influencé par le jeu de Charlie, basé sur les phrasés de saxophones et les courses rapides, outrepassant de très loin les concepts habituels. Charlie joua aussi avec les orchestres de Lloyd HUNTER, Nat TOWLES, Leslie SHEFFIELD et le JETTER-PILLARS Band de Saint-Louis.

En 1939, sa guitare étant devenue « La Voix du Middle-West » est entendue par Mary Lou WILLIAMS, pianiste de l’Andy KIRK Band (dont Floyd SMITH était alors le guitariste), ainsi que par le critique John HAMMOND, au « Ritz Cafe » d’Oklahoma City. Elle impressionne fortement ces trois auditeurs. Floyd SMITH enthousiasmé, entraîne Charlie a l' »Oklahoma Ballroom » où une « jam » entre les deux guitaristes se poursuivra toute la nuit sous les tollés des spectateurs. Au petit matin les deux compères ont encore assez d’énergie pour jouter à nouveau au « Bluemoon Grill », suivis de leurs admirateurs. Floyd, Mary Lou et John ont tous trois l’idée de recommander sans tarder ce « génie de la guitare » à Benny Goodman dont John Hammond était le producteur d’un disque qui devait se réaliser en Californie pour Columbia. Un peu plus tard, il se rend au « Humboldt Hotel », escorté en Buick par les musiciens de Mary Lou. La mère de Charlie travaillait comme servante dans cet hôtel où son fils venait de réserver une chambre pour John. « Il phrasait comme un sax! …ce qu’aucun autre guitariste ne faisait, et sonnait comme les Texans Ben Webster et Herschel Evans. Il était inventif ! . Il avait besoin d’être entouré de talents aussi grands que lui pour l’accompagner ! ». John se jette sur le téléphone et contacte Goodman en Californie : « Je viens de trouver le plus grand guitariste depuis Eddie Lang ! .. Un guitariste électrique en plus de ça ! .. ». Il est ému, transporté, en racontant ça. Et voici la réponse textuelle de Goodman : « Qui voudrait donc écouter un « putain » de guitariste électrique ? !!.. ». Mais John insiste, insiste encore, et finit par le convaincre de l’amener avec lui pour une audition.

Le 16 août 1939, un grand et fin jeune homme au teint foncé, vêtu d’ une chemise pourpre, cravate « string », d’une veste vert pomme, arborant des chaussures jaune d’or et coiffé d’un large chapeau « ten gallons », se pointe avec John Hammond en plein milieu de la session. Goodman affairé avec ses musiciens voit cette arrivée d’un très mauvais oeil, refusant tout d’abord de les laisser entrer. L’accoutrement de Charlie l’effraie. Ce n’est qu’après avoir longuement insisté que John parviendra au consentement de Goodman à laisser Charlie s’installer, et s’accorder sur le morceau « Tea for Two ». Mais la répétition a assez duré et Charlie est presque ignoré.

Le soir même, l’Orchestre joue au « Victor Hugo Restaurant » de Beverly Hills. Pendant que Goodman est en train de se restaurer, John et Artie Bernstein, le bassiste, installent l’ampli de Charlie sur le devant de la scène. Quelques minutes avant le début du concert, Charlie fait un tour aux cuisines, croisant Goodman qui revenait vers la scène, sans un mot. Ce-dernier voyant l’ampli en premier plan explose littéralement de colère. John tente de le calmer mais Goodman furibond monte sur la scène, jurant par tous les diables, et s’empresse de réunir ses musiciens en petit comité, transformant le répertoire prévu en vue d’égarer cet « indésirable » qui commence à l’excéder. « Nous démarrerons avec ‘Rose Room' » leur dit-il avec un sourire sardonique (un titre de la Côte Ouest que Charlie n’avait aucune chance de connaître, et qu’il serait à coup sûr incapable de suivre). Hammond qui avait repéré le piège, pressentait malgré tout que Charlie s’en tirerait, sachant qu’il « avait des oreilles comme des antennes ». Tandis que se font entendre les premières mesures, Charlie écoute et enregistre les structures d’accords, avec une compréhension hors du commun. Dès qu’il démarre, John le sent prêt à aligner « 25 chorus d’affilée ». Et c’est EXACTEMENT CE QUI ARRIVE!… 25 chorus, plus étonnants les uns que les autres en inventions, en subtilités, qui transportent la salle dans un enthousiasme crescendo; on se lève, on hurle, c’est presque l’émeute. « Rose Room » prévu pour une dizaine de minutes atteint les trois quarts d’heure! L' »Orchestre de Benny Goodman » reçoit une ovation comme il n’en avait jamais connu.

Il va se produire ensuite à New York, où Charlie, engagé pour 150$ la semaine multipliera les soirées triomphales, subjuguant les musiciens venus se rendre compte sur place si sa réputation est fondée. En octobre 39, à la suite d’un concert retentissant au « Carnegie Hall », le Clarinettiste décide de garder Charlie dans son Sextet, reconnaissant enfin qu’il est « l’un des musiciens les plus TERRIFIANTS qu’il lui ait été donné de rencontrer » et que « la scène de jazz n’a pas connu QUELQU’UN DE SA TREMPE depuis des lustres! »…

Avec le Benny Goodman Sextet ou Septet, Charlie CHRISTIAN enregistrera les légendaires « SEVEN COME ELEVEN », « FLYING HOME », « SOLO FLIGHT » et le fameux « twin-solo » de « GONE WITH WHAT WIND » où l’on entend déjà la préfiguration des jump-riffs développés par T.Bone, tandis que Lionel HAMPTON se déchaîne au vibraphone et Count BASIE au piano. Charlie excelle dans tous ces morceaux. 22 faces seront gravées, Charlie enregistrant également avec son mentor : Lester YOUNG (« Jazz Archives JA.6) et au concert « From Spiritual To Swing » (Live at Carnegie Hall.1939 /Vanguard VSD 47/48). En 1939, il est aussi recommandable de prêter attention à « I GOT RHYTHM » et « TEA FOR TWO » avec le Jerry JEROME Quintet, « SHOOD MORNING BLUES », »WAY DOWN YONDER IN NEW ORLEANS » avec le KANSAS CITY SIX, « HAVEN’T NAMED IT YET » avec le HAMPTON Orchestra, qui fait écrire à Claude Carrière (Livret du CD « Masters of Jazz »CD 24) : « On a le sentiment du plus haut niveau de swing possible ». « FLYING HOME » dont le thème est dû à Lionel Hampton connaîtra un succès retentissant à l’époque, et sera repris par lui, à la tête de ses Big Bands ainsi que plus tard par des guitaristes de Jump-Blues rendant hommage à ce « tube » marquant les débuts de la guitare électrique.

Après la vogue du Jump et du Swing (pourtant nous ne sommes qu’au tout début des années 40 !) vint le Bebop, et Thelonious MONK , Kenny CLARKE, Dizzy GILLESPIE, tireront profit de leurs contacts avec Charlie, plus tard, sur la scène du « Minton’s ». Jerry JEROME, saxophoniste-ténor qui côtoya Charlie de près, en 1939-40 se souvient des réactions terriblement » blanches » de son patron: l’incurable clarinettiste Benny Goodman, à propos de Charlie, et de ce John Hammond qui ne s’adressait qu’à lui, ignorant totalement les autres membres (dont Jerry) de l’Orchestre, et aussi de l’usage de la marijuana, très répandue à l’époque chez les Noirs qui jouaient du jazz, alors que les Blancs étaient plutôt portés sur l’alcool, mais chez Goodman, on jouait « le swing » proprement, sans ces expédients, précise-t’il. Hammond est décrit comme un gentleman, presque un dandy, issu de la bonne société de Park Avenue, mais « qui avait dans la tête d’aider la cause des pauvres gens, et de donner aux Noirs, une chance de réussite. Mais il lui arrivait très souvent de s’engueuler avec Benny, parce que ce-dernier avait beau être appelé « Le Roi du Swing », Hammond était persuadé qu’il fallait être Noir pour savoir exactement comment « swinguer » !… Benny fut d’ailleurs très contrarié de voir « son poulain » (Charlie) accompagné par le Count Basie Orchestra au fameux concert « Spiritual To Swing » au Carnegie Hall, en 39, et ne le pardonna pas à Hammond ».

Jerry JEROME dépeint Charlie comme étant d’un naturel tranquille, réservé, presque timide, à qui le succès ne monta jamais à la tête. « Bien sûr, lors des tournées, les musiciens blancs étaient logés d’un côté, les noirs de l’autre, dit-il, il y avait des restaurants propres à chaque race, mais chacun se débrouillait. Charlie respecta la coutume, ne faisant jamais d’histoires « .

Clarence CHRISTIAN se souvient que lorsque son frère Charlie rentrait d’une tournée avec Benny Goodman, il écoutait à la maison ses propres disques et disait toujours : »Ah! J’aurais plutôt joué ça de cette façon! … » et, sur sa guitare, il lui montrait la nouvelle version qui lui était venue à l’esprit. Son inspiration était en ébullition permanente.

En 1940, l’orchestre de Benny Goodman se produisit à Chicago. « Il y a des choses que je ne pourrais oublier de ces jours-là, dira Irving ASHBY, guitariste, qui avait une chambre dans le même hôtel que Charlie, « lui rendant visite, je le trouvai allongé sur le dos sur son lit, un oreiller sous la tête et sa guitare sur le ventre. Il jouait des trucs qui auraient fait frémir les guitaristes d’aujourd’hui ! ».

A New York, les conditions s’avéreront bien meilleures. Charlie est reçu à bras ouverts au « Kelly’s Bay », dans les clubs de la 52ème Rue, au « White Rose Bar » où les boissons sont à 15 cents et où l’on peut manger presque gratuitement. New York est très populaire malgré les bruits qui courent sur Harlem. Jerry Jerome ne se rendit que quelques rares fois au « Minton’s », préférant les jams de cette 52ème Rue. Les groupies hurlantes y existaient déjà, à chaque apparition de Charlie, le suivant de place en place dans ses gigs. Cette 52ème Rue était selon Jerry : « un quartier bohême,où l’on se serait bien gardé de la moindre réflexion raciste. Il y régnait un climat permanent de bonne entente entre musiciens, amateurs, résidents. Y étaient acceptés : le blanc, le noir, le marron, le vert….Tout ce que l’on voulait, c’était vivre intensément l’événement présent. Chaque instant. Aucun préjudice, et si vous étiez mal intentionné, ils ne voulaient pas avoir à faire à ce genre de bizness ! ». Jerry raconte encore que Charlie affectionnait particulièrement les beaux vêtements. Clarence, le frère de Charlie racontera qu’il dormait souvent avec ses chaussures sur le lit de crainte de les salir. Tout le temps que Jerry passa avec Charlie, il le vit en bonne santé, jouant volontiers au base-ball. Il le décrit comme « un buveur social », ressemblant, à cause de son sempiternel sourire, à un « fumeur d’herbe », mais ne l’ayant jamais surpris parmi les groupies-fumeurs que l’on entend crier, soutenant les musiciens. « Ils n’arrêtaient pas d’encourager Charlie. Ils hurlaient : Go, Charlie, go ! ».

« Charlie disait souvent : « Des « copycats », vous en trouverez par douzaines, mais un original, ça c’est difficile à trouver ! ». Wolf Marshall, dans sa rubrique: « The Charlie Christian Guitar Sound » (www.interactive.com/expguitar/charlieChristian) précise, contrairement aux dires de Jerry Jerome, que Charlie joua sur 3 modèles différents de Gibson ES-150, de 1937 à 1942, et aussi sur 3 ou 4 modèles d’ ES-250 (guitare également adoptée par T.Bone Walker au début des années 40) qu’il branchait sur des amplis Gibson EH (« Electric Hawaiian »): le EH-150 qui était offert avec la guitare ES-150, pour le prix total de 150 $, et le plus volumineux : EH-185 qui était l’un des premiers modèles « piggyback » à haut-parleur 12-inch, 7 tubes, sortie de 18 watts, monté en caisson métallique et muni d’une tête séparée. Mais seuls: volume et tonalité pouvaient être règlés. La guitare Gibson ES-150, ajoute t’il, évolua vers la ES-175 que Charlie aurait adopté s’il avait vécu jusqu’en 1949.

Ralph ELLISON pense quant-à-lui que : « Charlie et sa grande famille ont joué dans de riches contrées blanches, cette merveilleuse musique. Or, la famille de Charlie était incroyablement pauvre; et Charlie fit preuve d’une rare dignité. Charlie Christian n’aurait pas été joué dans une école de musique de renom. C’est ce qui cloche !. Ce qu’ils voulaient au fond, c’est se tenir aussi éloignés que possible de cette « classe moyenne » afro-américaine, évidemment inculte de la Musique Classique, et qui me fit songer un moment à me tourner vers le « Tuskeegee Institute » de l’Alabama, où j’aurais étudié dans une classe de musique symphonique. Charlie, quant-à-lui, fit son propre chemin, avec sa guitare, et devint assez bon pour que Benny Goodman l’invite à New York à la fin des 30’s !… ».

Formé à l’école « blanche » du jazz « aristocratique » dominant, imbu de son titre ridicule de « Roi du Swing », Benny Goodman tout comme Glenn Miller, Stan Kenton et tous ces orchestres blancs qui prétendirent rivaliser avec les Créateurs Noirs de cette musique qu’ils avaient appelée : jazz, n’avait pas inventé non plus la « clarinette-swing ». Son usage remontait à un certain Lorenzo Tio (né en 1884) qui aurait enseigné l’instrument aux trois principaux solistes des années 20 : Sidney Bechet, Jimmy Noone et Johnny Dodds. La clarinette fut d’ailleurs supplantée très vite par le triomphe du saxophone, avec lequel il n’était en outre, plus question de jouer occasionnellement du Brahms ou du Bartok (comme le faisait Goodman).

A ce propos rajoutons cet aparté dû à la plume de LeRoi JONES : « La matière première du Blues n’était pas accessible à l’Américain Blanc, même si quelque circonstance bizarre l’amenait à vouloir la découvrir. On aurait dit qu’elle était secrète et obscure, et que le Blues lui-même était une sorte de rite ethno-historique aussi fondamental que le sang. Le ragtime s’était si vite détaché de tout reflet véridique de la vie noire qu’au moment où il se répandit, il n’avait plus aucune originalité. Sans le jazz, la classe moyenne noire n’aurait pas eu de musique, et le Blanc n’aurait pas eu accès au Blues. Mais le jazz a su refléter non seulement le Noir et son Amérique, mais aussi une Amérique blanche. Mais le jazz joué par des Blancs n’était pas le même que celui joué par des Noirs. C’est Louis Armstrong qui avait conduit le « jazz de cuivres » à son plein épanouissement, et déterminé ses principales innovations jusqu’aux années 40 et au Be-bop. (…) Jusqu’à ce qu’il l’engageât comme principal arrangeur, Goodman ne paya ses arrangements à Fletcher Henderson que 37$ 50 pièce. (…) Il n’est pas moins incroyable de penser que presque aucun musicien noir ne figurait au palmarès des concours organisés aux alentours de 1940 par les principales revues de jazz. La musique de swing dérivée du jazz arrangé de grand orchestre finit par n’avoir plus grand-chose à voir avec le Blues, et fort peu de chose avec l’Amérique noire, d’où elle tirait pourtant son origine. Le « roi du swing » était un Blanc, Benny Goodman, dont le seul lien avec la tradition africaine était d’avoir engagé un arrangeur noir, puis quelques instrumentistes de couleur. (…) Les gens du Blues, ceux qui, selon la formule de Ralph Ellison « acceptaient leur expérience traditionnelle et y restaient attachés », avaient leur continuum, mais les Noirs de la classe moyenne s’étaient libérés de la tradition du Blues, sauf sous la forme caricaturale qui lui était donnée par le swing blanc, ou le piteux spectacle de Boogie-Woogie à Carnegie Hall, et de Hazel Scott jouant le Concerto en la mineur de Grieg au « Cafe Society » !… »

Charlie commençait cependant à tousser sérieusement et Benny Goodman lui ordonna d’aller passer des radios au Michael Reese Hospital. Ces examens révélèrent une tache inquiétante aux poumons. Charlie fut alors informé qu’il se trouvait atteint par la tuberculose, et un traitement lui fut prescrit. Mais Charlie pensait qu’il allait s’en sortir, et ne parla pas de cette maladie ni à John Hammond, ni à Goodman. Les médecins lui avaient recommandé de prendre garde à sa santé en évitant les excès, mais Charlie était absolument convaincu qu’il pourrait continuer comme si de rien n’était. Il fumait cigarette sur cigarette, et se couchait la plupart du temps à l’aube. C’était un « Be-bop man », un « hepcat », un « hipster », un enragé du « new jive » qui sévissait à New York comme dans toute la communauté noire la plus branchée des villes des Etats-Unis. Charlie se rendait de son hôtel au repaire des « branchés » : le « Minton’s », en taxi, amenant avec lui sa guitare. Un ampli qui lui était réservé avait été acheté par le patron : le trompettiste Teddy HILL. A cette époque, le quartier était en principe interdit aux Blancs, cerné sur son pourtour par des troupes de l’armée. On craignait les émeutes raciales. Charlie, une fois installé sur scène la quittait rarement. Il essayait des improvisations spontanées avec tous les musiciens présents jusqu’à ce que le dernier d’entre eux ait remballé son instrument. Teddy Hill offrait à boire et à manger à ces intarissables jammeurs. Le lundi soir était le plus chaud et le plus fécond. Des membres d’orchestres venant de jouer à l' »Apollo Theater » s’y rendaient fréquemment. C’est là que l’on pouvait entendre la pointe de la musique montante, le Be-bop, y côtoyer les maîtres à penser :Thelonious MONK, Dizzy GILLESPIE, Charlie PARKER…Le guitariste Tiny GRIMES vint les voir et les entendre, mais surtout Charlie auquel il vouait une grande admiration. Il lui prêta sa guitare à 4 cordes, à 4 heures du matin, pour le plaisir de l’entendre jouer dessus.

Les musiciens noirs affirmaient là leur identité, réactionnaire envers le « swing blanc » (de Goodman et d’autres). Jerry NEWMAN, un Blanc, à ses risques et périls, vient enregistrer Charlie, amenant son magnétophone, en 1941.Recueillant sur un matériel non-professionnel ces morceaux « live », d’une intensité rare, ces cascades de notes qui vont influencer des générations de guitaristes, Newman nous permet d’entendre encore aujourd’hui, non sans émotion, ces extraordinaires : « SWING TO BOP », »UP ON TEDDY’S HILL », »GUY’S GOT TO GO »…En « Live », avec les ovations locales !…

En février 41, Charlie s’était prêté à une séance de studio réunissant Edmond HALL (clarinette), Meade Lux LEWIS (piano). celesta) et Israel CROSBY (bass) (« Celestial Express »-Blue Note BST.86505) puis en mars il joua auprès de Cootie WILLIAMS (tpt). C’est en mai 1941 que se firent les enregistrements de Newman, peu avant que Charlie ne tombe gravement malade. Charlie toussait de plus en plus et fut contraint par la force des choses d’abandonner les jams. Il trouve refuge au sanatorium de Staten Island où le Dr. Sam Mc Kinney, grand amateur de jazz et physicien, s’intéresse à son cas et lui rend visite régulièrement, supervisant l’évolution de la maladie. Teddy Hill vient aussi le voir, tous les samedis, apportant ses plats cuisinés, et des gâteaux au chocolat confectionnés par « Mom » Frazier, appréciés par tous les musiciens de Harlem. Au bout de quelques semaines, Charlie recommence à jouer, dans son lit, s’asseyant sur le rebord, suite à de visites répétées de fans qui finissent par l’entraîner à des escapades nocturnes hors du sanatorium.

Une nuit de cet hiver 41, à l’issue de l’une de ces jams, épuisé, fiévreux, Charlie se retrouve seul, à trois ou quatre heures du matin, à des kilomètres de Seaview. Ses « potes » ne se sont même pas souciés de le raccompagner. Tous saouls, ou draguant les filles ; Ils ont passé un très bon moment avec Charlie, qui maintenant traîne la patte, abandonné, vacillant, posant l’étui de sa guitare, pris par de nouvelles quintes de toux. Il fait un froid glacial. Charlie trouve un coin isolé, dans un renfoncement et s’entoure comme il peut de son manteau, en en relevant le col, s’allongeant près de sa guitare. Il parvient à dormir quelques heures. Lorsque dans la matinée, il se pointe à l’entrée du sana, tout le personnel lui fait face, consterné. Le Dr.Mc Kinney est alerté, et arrive furieux, décidé à tout mettre en ordre pour stopper ces infractions, mais il est trop tard. Charlie avait contracté une pneumonie qui ajoutée à sa tuberculose, allait s’avérer fatale.

A l’âge de vingt-six ans, s’éteignait le « Génie de la Guitare Electrique » qui allait influencer tous les guitaristes électriques du monde entier. Sa Gibson fut récupérée par l’un de ces admirateurs, le guitariste : Sal Salvador, qui la fît aussitôt transformer en « blonde », et fît changer le manche par le luthier John D’Angelico. Plus tard, elle lui sera volée.

Charlie CHRISTIAN n’est pas à étiqueter comme un « guitariste de Be-bop », tel que l’ont bien souligné Hugues Panassié et Madeleine Gauthier dans leur « Dictionnaire du Jazz », ce serait l’enfermer dans un style à cause de sa seule fréquentation des hauts-lieux des Bebopers de Harlem en 1941. Le style original qu’il s’était forgé inspirera des orientations très différentes. Certains guitaristes de la Côte Ouest (Californie) comme Johnny MOORE, Tiny WEBB, en tireront profit dans le style « Novelty-Cocktail-Blues », que l’on retrouve aussi à Chicago avec Ellis HUNTER, Ollie CRAWFORD (du « Big Three Trio » de Leonard Caston & Willie Dixon) ou Floyd Mc DANIEL (Four Blazes), tandis que Floyd SMITH, Oscar MOORE, Teddy BUNN, Albert CASEY, Irving ASHBY, en développent l’aspect Jazz avec parfois des accents Rhythm’n’Blues, et que Wes MONTGOMERY, Tal FARLOW, Eddie CONDON, Johnny SMITH, Barney KESSEL, etc….se tourneront vers un jazz plus nettement éloigné des consonances Blues. Et nous trouvons avec T.Bone WALKER un autre développement magistral (contemporain de Ch.Christian !) : celui du style « Jump-Blues » qui va générer quantité de disciples, tels que Junior ROGERS (chez Roy Milton), Charles « Chuck » NORRIS, Gene PHILLIPS, Goree CARTER, Pete LEWIS et Jimmy NOLEN (au sein du Johnny Otis Orchestra), alors que Pee Wee CRAYTON, Clarence Gatemouth BROWN, Robert KELTON, Willie JOHNSON, Matt MURPHY, Joe Willie WILKINS, Earl HOOKER, Carl HOGAN et Bill JENNINGS (des Tympany Five de Louis Jordan), Billy BUTLER (Bill Doggett’s Combo), Tiny GRIMES (& His Rockin’Highlanders)…vont donner à ce style « Jump-Blues » une orientation Rhythm’n’Blues pré-Rock and Roll, de sorte que lorsque nous arrivons à Chuck BERRY, dans les années 50, nous pouvons affirmer sans crainte que toute la trame et la texture de ce style existent déjà auparavant, forgée et enregistrée depuis une décennie, au sein de la musique Noire. Pour B.B.KING qui donna une tournure personnelle au style de notes « bendées » du Blues, Charlie CHRISTIAN représente également le « Grand Inventeur » du jeu note à note qu’il découvrit au début des années 50 en jouant dans un style inspiré de celui de T.Bone Walker. Que ce soit dans le Jazz, dans le Blues, dans le Rock and Roll, ou dans ce Swing-Revival dont s’entiche une nouvelle génération de jeunes guitaristes (de la fin des années 70 à aujourd’hui), l’image du « Guitar Genius » de la fin des années 30, au vécu fulgurant, trop tôt disparu, est encore présente comme symbole d’une révolution capitale et féconde, dans l’Histoire de la Musique du XXème siècle.

Phil DUBOIS (novembre 2003).

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